Camille Saint-Saëns |
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Paris, 9 octobre 1835 Alger, 16 décembre 1921
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Saint Saëns à Alger
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il est possible d'être aussi musicien que Saint-Saëns. Il est impossible de l'être davantage.
F. Liszt |
Il était né à Paris, le 9 octobre 1835, d’un fonctionnaire dieppois au ministère de l’ Intérieur , poète à ses heures, qui mourut de tuberculose alors qu’il avait quelques mois. Il eut deux fils dont le second mourut en bas âge peut- être de la même infection. La phtisie, le mal du siècle, pesa de toute son ombre sur l’enfant prodige. Élève doué , il composa à 15 ans une symphonie au rythme « dansant ». Compositeur estimé, pianiste ( sa rencontre avec Litzt le subjugua),il fut attiré par l’orgue et devint organiste titulaire de l’église Saint Merry où il officia 17 ans puis il devint celui de la Madeleine. Au curé qui lui reprochait l’austérité de ses choix musicaux ( Bach surtout ) qui déconcertait un public mondain, il rétorqua qu’il en changerait quand le curé prendrait des thèmes légers pour ses sermons ! Il devint l’ami de Pauline Viardot et de Tourgueniev, de Judith Gautier dont il partagea le goût japonisant, ce qui lui inspira Occident-Orient, cantate pour orchestre militaire. Sa vie sentimentale fut aussi perturbée par sa santé fragile et in fine son mariage fut malheureux… En 1878 , il délaissa sa femme aorès le décès de leurs deux jeunes fils en moins de deux mois. Son rytme de travail s’accrut : pris dans une spirale de concerts à travers l’ Europe, il s’épuisa et ses médecins lui conseillèrent pour ses poumons un climat plus doux. Il commençait son opéra Samson et Dalila lorsqu’il s’embarqua pour Alger en 1876 . Et ce fut la révélation et une source d’inspiration. Ses lettres en sont le témoignage : « Vous montez sur un joli navire ; vingt quatre heures après vous débarquez en Alger ; c’est le soleil, la verdure , les fleurs , la vie ». Il est passionné de botanique, emprunte les tramways électriques et les automobiles jusqu’au jardin d’Essai. « L’on y trouve une profusion de roses et de palmiers, des cycadées, une longue allée de bambous gigantesques, des figuiers de l’Inde aux colonnes multiples, des massifs de strelizias de cent pieds de haut … Ce parc de féérie decend en pente douce jusqu’à une plage discrète ombragée de dattiers où la mer vient mourir amoureusement alors qu’en France, c’est la désolation de l’hiver » . Il prend la ligne d’ Alger à Oran : « Le ciel d’un bleu clair et transparent , d’un bleu que vous ne connaissez pas surprend et ravit le regard. De tous côtés surgissent les orangers surchargés de leurs fruits d’or ; les blés, les vignes couvrent d’immenses étendues. Tout respire la vie , l’abondance, la fertilité d’une terre puissamment nourricière ». Il va passer plus d’un mois en Algérie pour se remettre de ses fatigues et ne pas risquer une rechute.
Le Jardin d’Essai d’Alger vu du Musée National Il y terminera son opéra qui sera joué en première à Weimar en 1877 grâce à Litzt et fut admiré par Hector Berlioz. Y eut-il une influence algérienne dans la fameuse Bacchanale ? Selon les musicologues comme Jean Gallois : « Saint Saëns s’interdit toute reproduction directe d’une quelconque mélodie d’ Afrique du Nord mais utilise un folklore imaginé plus que thématiquement reconstitué ; l’élément arabe y est aussi aisément reconnaissable notamment par l’emploi du mode Asbein ». La « Suite Algérienne » jouée aux Concerts Colonne en 1913, est une page écrite en souvenir de ses voyages et s’inspire des motifs et des rythmes entendus localement ou des « impressions » avec un passage intitulé « en vue d’Alger ». La Rhapsodie mauresque aura aussi des rythmes arabes modulés à la flûte… « Le scherzo, selon le critique, alliera des rythmes complexes et arabe ». Rêveries du soir à Blida est de 1881. Après la tragédie familiale, il se terre au Maroc sous un nom d’emprunt. Il voyage d’ailleurs incognito, craignant les sollicitations et les curiosités des amateurs de musique. En 1884, après son opéra Henry VIII, il part de nouveau se reposer à Alger mais l’état de ses poumons ne s’améliore pas et il doit faire une cure à Cauteret. Toujours la crainte de cette phtisie qui fauche en 1890, César Franck qu’il accompagnera au cimetière Montparnasse. 1884 le retrouve à Alger avant une nouvelle représentation de Samson et Dalila. Avant la mort de sa mère qui lui reprochait de la délaisser et à laquelle il écrivait pourtant tous les jours, il s’excusait de fuir lorsqu’arrivait l’automne et ses brouillards. Le 19 novembre 1887, à la Pointe Pescade, près d’Alger, il dit admirer « les rochers en marbre… sa mer couverte d’écume, toison des troupeaux de Neptune ».
La pointe Pescade à 7 km à l’ouest d’Alger Puis l’inspiration revient et il se consacre à la partition d’Ascanio. Pour se délasser, il tente de reprendre ses course sur les hauteurs : « A cinquante – deux ans pour retrouver ses jambes d’autrefois sur les rochers ». Il s’estime « maladroit , en marchant à quatre pattes ou en se traînant sur le derrière » écrit–il avec humour. Il regrette de « n’être pas un singe : il n’aurait pas à composer d’opéra » ? Le 28 novembre, il assiste à la fête de Mahomet « et les nègres en l’honneur du Prophète, exécutent sur leurs castagnettes de fer des symphonies qui ont tout le charme d’une usine métallurgique en activité ». Il raconte l’histoire « d’un jeune Arabe costumé, va chez lui, revient sur la place retrouve son gaillard avec le maître du café, bien bravache. la chenille est devenue papillon et le gamin a l’air de s’être échappé d’un tableau de Régnault » ( Ancien Prix de Rome, ami d’Augusta Holmès, son grand amour, devenue la femme de Catulle Mendès, ancien mari de Judith Gautier ) … Ce tout Paris qu’il fuit, bourru et taciturne. Cette année là, il s’est installé à Isly et retrouve l’ Arabe auquel il offre le pot-au-feu cuisiné par sa propriétaire. Il retourne à sa chère Pointe Pescade mais ses jambes sont trop lourdes. Il se distrait comme il peut. Au cirque, il s’amuse d’un dromadaire costumé en femme (Cela lui inspirera t-il le Carnaval des animaux qu’il commencera à cette époque ?) Il va au Théatre voir Patrie de Sardou « mais le public ne peut supporter le rôle abominable de la femme ». Toujours inspiré par Ascanio, il y met le mot fin en septembre. En 1891,il va chercher le soleil en Égypte, le Caire l’enchante puis il part pour Ceylan à Colombo ,enfin l’Indochine. Mais en décembre 1891, il revient à ses premières amours : Alger où il compose Phrynée, la courtisane défendue par son avocat qui la dévoila devant l’aréopage, argument décisif. De cette nudité, il s’amuse avec les bains locaux : « cinquante centimes et le peignoir en plus ! ». Mais il fortifie le mythe de la femme mangeuse d’hommes ! Il prend des forces pour sa tournée de concerts : Chicago puis Londres et Cambridge. Il est reçu par toutes les têtes couronnées d’Europe. Les honneurs ont plu sur lui : Croix de la Légion d’Honneur à 35 ans, membre de l’ Institut. Il a eu l’idée, le premier, des festivals musicaux avec celui de Béziers. En 1900, il participe à la préparation de l’Exposition universelle et s’en remet à Alger évidemment et Bône. Il met sur le chantier son nouvel opéra Les Barbares … En 1905, c’est Biskra qui l’attire. Puis il s’installe au Grand Hôtel des Bains de la station thermale d’Hammam R’Irha. D’Alger, en 1913, il écrit : « Plus de lumbago mais mes genoux sont raides. L’âge amène tout comme disait Célimène, y compris les douleurs incurables que guérira sûrement la fin de l’existence qui approche. Je descend le chemin gaiement, sans regret, sans tapage et pars inconscient comme je suis venu ». Mais la musique le soutient toujours ; il admire Gounod mais ne se réconcilie pas avec Wagner, trop marqué encore par la défaite qui lui avait inspiré l’hymne à la patrie, la cantate Gallia. Il n’aime pas Bruckner, Richard Strauss et Mahler. En décembre 1919, il repart, après la guerre qu’il a passée entre Paris et Cannes. On joue ses œuvres dans toute la France. Toujours à l’ hôtel de l’Oasis, de là, il se promène un peu ; la voiture coûte trop cher, ses jambes ne le portent plus. Il compose, compose. Une seconde élégie pour piano et violon est dédiée à Charles de Galland, maire d’ Alger et violoniste amateur. Il effectue une brève tournée à Oran puis à Tunis avec le violoniste Jean Noceti. Retour en 1921 à l’hôtel où l’on a placé un piano Erard dans sa chambre. Il joue sa Valse nonchalante. Le 14 décembre il se rend au théâtre où l’on joue Lakmé de Léo Delibes qu’il admire tant. A 22 heures le 16 , il mourut après avoir relu La Fontaine et Molière ses auteurs préférés. Ses obsèques sont grandioses à la cathédrale en présence des autorités : Théodore Steeg, le gouverneur général, le maire d’ Alger et l’archevêque. La maîtrise et l’orchestre des artistes du Grand Théâtre jouent la Marche héroïque et le Cygne ; La Symphonie héroïque de Bethoveen l’accomagne jusqu’à l’embarquement sur le paquebot Lamoricière qui aura un destin tragique. Tandis que résonne pour les initiés, « la petite phrase », celle de la sonate de Vinteuil qui donnait des névralgies affreuses et des pleurs à madame Verdurin dans son salon parisien. Saint-Saëns, Vinteuil le muscien de la Recherche ?. Marcel Proust écrivit à Jacques de Lacretelle : « Dans la faible mesure où la réalité m’a servi, la petite phrase de cette sonate( en ré mineur ) est la phrase charmante quand le piano et le violon gémissent comme deux oiseaux qui se répondent … »
Camille Saint Saëns à l’orgue
Annie Krieger - Odette Goinard
Bibliographie choisie Baroli Marc : Saint-Saëns à Alger (Mémoire Plurielle ; Cahiers d’Afrique du Nord N° 17 Octobre 1998 Cazenave Elisabeth : L ‘Afrique duNord révélée par les musées de province . Ed Association Abd-el -Tif . 2004 ( H Régnault - 1843- 1871 Prix de Rome en 1866 ; Espagne, Maroc ; Orientaliste. Tué pendant la guerre de 1870 à Buzenval ; 19° Régiment de marche. Gallois Jean (Historien, violoniste et musicologue, auteur d’ouvrages sur le Baroque, le Romantisme européen et sur Chausson) ; Camille Saint-Saens Ed Mardaga 2004 Pourteau Henri ( Organiste de Notre- Dame de Bon- Voyage , Cannes O6400 ): Conférences et Méditations religieuses et musicales ( 2020 – 2021) Château :Musée de Dieppe 2004 Catalogue de l’exposition « Camille Saint - Saëns et l’ Algérie » . Belle et riche présentation de photos et d’objets recueillis pendant ses dix- huit séjours en Algérie . Ce catalogue illustré contient les Notes et souvenirs ( Tome I du du Musée de Dieppe : ensemble de notes manuscrites rasemblées par Jean Bonnerot (Camille Saint - Saëns , sa vie , son œuvre , ed Durand 1924) Poèmes de Saint Saëns en rapport avec l’Algérie et écrits là bas : La Libellule ( 1902), Les Cloches de la mer (1892) et Soirs d’ Algérie.
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