Victor

Robinet

dit Musette

 
 

Alger 1862

Alger 1930

 

Musette ! nom familier aux Algérois.

Maniant avec un égal bonheur la pure

langue française et l’idiome coloré

du joyeux Cagayous, Musette fut un

observateur sagace et piquant,

un ami sincère de ce menu peuple,

unique en son genre, et à  jamais disparu,

qu’il sut présenter avec un grand talent.

 

Victor, Maurice, Auguste Robinet est né à Alger le 26 avril 1862, 9 rue de la Révolution. Son père était compositeur-typographe et traducteur d’arabe.

Orphelin très jeune, il fut élevé par son oncle Legendre,  grâce auquel il put poursuivre ses études secondaires. Dès l’enfance, il avait déjà un goût inné pour la philologie et la linguistique.  Ses condisciples, au lycée, le qualifiaient  «d’encyclopédie vivante».

Devenu commis du service vicinal, puis admis au concours de l’inspectorat des enfants assistés, il obtint, après avoir fait un stage à Constantine, le poste d’inspecteur du département d’Alger.  Il poursuivit sa carrière de fonctionnaire jusqu’à sa retraite.  Très consciencieux dans son travail, plein de sollicitude pour ses petits protégés, il fut l’un des promoteurs du service de la maternité de l’hôpital de  Mustapha.

Cependant, malgré tout l’intérêt porté à son métier, Robinet qui avait un caractère imaginatif et fantaisiste, s’est très vite évadé de la routine administrative, en collaborant à des revues d’actualité.  Dès l’âge de vingt ans, il signait des articles dans l’Akhbar sous le pseudonyme de « tête d’âne ».  En 1888 Ernest Mallebay fondait la « Revue Algérienne » et lui confiait une chronique signée Rob.  C’est en 1896 qu’il devint populaire sous le nom de Musette en créant un personnage inventé de toute pièce, nommé Cagayous.

Inspiré du milieu dans lequel il vivait et qu’il observait d’un œil amusé, Robinet a réussi à faire vivre, dans un style pittoresque, des représentants du petit peuple de Bab-el-Oued, mélange de français, d’espagnols, d’italiens, de maltais, de juifs et d’arabes, dont le héros était Cagayous.  Durant de longues années , de 1896 à 1920, il a fait publier en fascicules hebdomadaires les aventures de ce personnage haut en couleur, au parler truculent. Nous le voyons vivre avec ses acolytes dans des scènes très simples qui pourraient figurer dans la «comedia del arte» : Zerofranc, toujours fauché ; Embrouilloun, un peu filou dit le «sacatrape»; Chicanelle, sa propre sœur, et son petit bâtard Scaragolette; Mecieu Hoc, le facteur en retraite qui tient bénévolement la plume pour ses voisins illettrés; l’épicière espagnole et sa fille Thérésine, «la savante», titulaire du certificat d’études, qu’il épousera, mais pas pour longtemps…

Ses chroniques, pleines de verve, paraissaient aussi dans les Annales africaines, dirigées également par Mallebay, ainsi que dans la Dépêche Algérienne et l’Echo d’Alger.  C’est dire  que Musette était devenu célèbre dans le public algérois de l’époque, qui suivait avec le plus grand intérêt les exploits de Cagayous et de son petit monde. Il a montré ces gagne-petit, d’origine misérable, sans ambition, résignés à la pauvreté, mais heureux de vivre au soleil, près de la mer, des champs, distraits par les événements de la rue.

Ayant également un goût pour le théâtre, il fit jouer quelques saynètes en intermède au Théâtre municipal.  En 1907, il produisit au « Petit Athénée » une revue intitulée Alger en panne, qui connut un succès considérable.  En 1910, il prépara pour le Kursaal (disparu après 1918) deux opérettes, le Coquebin et la Libellule, et en 1917, pour le Casino Music-Hall, une pièce patriotique  On ne passe pas.  Aucune de ces trois œuvres ne vit la scène par suite de différends avec les directeurs ou les interprètes.  Musette n’était pas particulièrement souple !  Il le montra notamment dans la critique théâtrale qu’il exerça durant vingt-cinq ans avec une redoutable indépendance.

Musicien, Musette jouait du  piano et de la flûte, et composait à l’occasion. Dessinateur et peintre à ses heures,  il maniait avec une certaine aisance le crayon et le pinceau.

Musette, enfin, aimait le « bricolage ».  Il possédait un établi parfaitement agencé, savait rempailler les chaises, et assurait personnellement l’entretien et la réparation de sa voiture Salmson.

Il travaillait fréquemment jusqu’au petit jour, soutenant son effort par le tabac et le café. Un rire sonore ponctuait parfois dans le silence de la nuit, la drôlerie d’une trouvaille.

A l’écart de toute politique, il fut cependant lié avec tout ce qu’Alger et l’Algérie comptaient en ce temps de personnalités mêlées au mouvement des idées, notamment Ernest Mallebay, Paul Gavault, Emile Lacanaud, Lys du Pac, Stephen Chaseray, Charles de Galland.

Musette, frappé d’hémiplégie, s’est éteint le 13 septembre 1930.  Selon sa volonté expresse, il n’eut pour gagner le cimetière du Boulevard Bru, d’autre cortège que ses trois enfants. A la «Bassetta», repli de ce Bab-el-Oued où Cagayous avait évolué pendant tant d’années, le Conseil municipal fit placer une sorte de banc semi-circulaire en ciment, surélevé en son sommet d’une murette contre laquelle fut apposé un médaillon de bronze et  gravé dans la pierre cette inscription laconique : « Musette ».

Victor Robinet a toujours fui les honneurs autant que l’argent.  Nommé Officier d’Académie, à son corps défendant, il s’écria « les palmes ?  Qu’en faire.  Donnez-les donc à mon marchand de tabac, il en serait si fier. »

 

Odette Goinard

                                     D’après Max Lamouche, publiciste sociologue algérois

 

 

Bibliographie :

 

- Pierre Mille dans un feuilleton du Temps (1907), les Nouvelles Littéraires (17 avril 1930), billet nécrologique à la Dépêche coloniale (28 novembre 1930)

- Le recteur Taillard dans un passage de sa thèse  L’Algérie dans littérature française (1925)

- Le professeur E.F. Gautier dans un ouvrage de la Collection du Centenaire, Un  Siècle de colonisation.

- Gabriel Audisio : Cagayous. Ses meilleures histoires (Gallimard 1931).

 

 

Petit gars de Bab El-Oued par Brouty

 

retour à la page des biographies