Henri Laperrine |
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Castelnaudary 1860 Tanezrouft 1920 |
C'est grâce au général Laperrine que si longtemps, pour la joie du cœur et des yeux, flottèrent les trois couleurs pimpantes du drapeau de la France, au-dessus des fortins rouges ou blancs, sur le vert sombre des palmiers, dans la splendeur et la luminosité des paysages sahariens. (Général Ferry) |
Henri Laperrine d'Hautpoul est né le 29 septembre 1860 à Castelnaudary. Son père, Alphonse, était receveur des Finances et ancien officier en Afrique, marié avec Pauline Salaman. Il était le sixième d'une famille de huit enfants. Il fait ses études au collège de Sorèze (Tarn), puis entre à Saint-Cyr comme boursier. Puis c'est l'École de Saumur. En 1881, sur sa demande, il est affecté au 4e Chasseurs d'Afrique. C'est alors son premier baroud contre les bandes de Bou-Amama dans le Sud Oranais. Au cours de cette campagne, il rencontre pour la première fois Charles de Foucauld(1) avec lequel il noue une amitié qui restera toujours profonde. Affecté ensuite en Tunisie, il suit les colonnes expéditionnaires. En 1885 il est muté au 1er Spahis à Médéa et l'année suivante, il suit les cours de Saumur en qualité de lieutenant d'instruction. Il en sort avec la note générale « très bien » et l'appréciation suivante: « officier très intelligent, très méritant, a de l'avenir ». Retour en Algérie en 1887. Muté à l'escadron de Spahis du Sénégal, il participera, de 1889 à 1891 aux nombreux combats de la campagne du Haut-fleuve où il se distinguera par son courage, mais aussi sa patience, sa diplomatie et l'amour des hommes, sans quoi rien de bon ni de solide ne saurait être entrepris. Nommé capitaine, il est promu chevalier de la Légion d'honneur à 32 ans. Affecté au 2e escadron de Spahis soudanais, il participe à la colonne de Tombouctou et se distingue encore dans des combats, dont celui d'Aken-Ken contre deux cents Touaregs, ce qui lui vaut une citation à l'ordre des troupes de l'A.O.F. En 1897, Laperrine quitte définitivement l'Afrique Noire et passe à l'escadron de Spahis sahariens à Ghardaïa. C'est là, dans ce pays dont l'austère beauté séduit les âmes les plus nobles, qu'il va donner toute sa mesure. Après trois reconnaissances préliminaires, il parvient à s'approcher du ksar El Arab, l'un des villages d'In Salah, « la ville interdite » et rapporte de cette tournée audacieuse 660 km d'itinéraires nouveaux. Le 6 juillet 1901, il est nommé Commandant militaire supérieur des oasis sahariennes. Il a quarante et un ans. Jusqu'en 1910 il va être, à ce titre, l'artisan principal de la conquête et de la pacification d'un immense territoire: le « Bled El-Atchan » (pays de la soif), dont les habitants, pillards impitoyables, faisaient aussi le « Bled El-Khouf » (pays de la peur). Il faut préciser que la progression française en ce pays avait été stoppée par l'effroyable massacre de la Mission Flatters en 1881. L'horreur inspirée par les récits des rescapés qui avaient dû, comme les naufragés de la Méduse, manger pour survivre, de la chair humaine, et l'humiliation d'un échec si éclatant, avaient, pendant près de vingt ans, suscité la prudence des autorités responsables. Certes, en 1898, la Mission Foureau-Lamy avait bien traversé le désert, jalonnant son itinéraire d'innombrables carcasses de chameaux. Mais le « mythe touareg » subsistait, créé par l'explorateur Duveyrier et entretenu par les imaginations . C'est à Laperrine qu'il appartint de faire apparaître la réalité. Le raid de son subordonné, le lieutenant Cottenest, au Hoggar en 1902 et le victorieux combat qu'il livra à Tit, montrèrent que les hommes voilés n'étaient pas invincibles. Chargeant héroïquement à la lance sur leurs méharas, ils avaient perdu, devant la position tenue par nos goumiers, les plus audacieux de leurs guerriers. Ils étaient désormais prêts à se soumettre et il fallait en profiter pour installer au Sahara la paix française. C'est à cette tâche que s'attela Laperrine. Pour y parvenir, il eut l'idée géniale de la création des Compagnies sahariennes, outil spécial adapté à la mission. Il ne fut pas facile de convaincre les technocrates d'Alger et de Paris car la « sacro-sainte » administration n'admet guère les formules qui sortent de l'ornière du conformisme. En 1902 pourtant, non sans mal, Laperrine avait gagné. Désormais, les hommes de troupe du Sahara furent des nomades recrutés avec leurs montures dont ils restaient propriétaires. Avec leur solde, ils devaient assurer leur subsistance par leurs propres moyens. Ils vivaient dans leur famille ou dans le bled. C'est ainsi que naquirent les unités légères, souples, frustes, capables de se déplacer sans convoi, toujours prêtes, constituées par des hommes accoutumés aux difficultés du climat et à toutes les embûches d'un pays qu'ils connaissaient parfaitement. Encadrés par des officiers choisis, qui savaient gagner leur estime et leur confiance, les méharistes accomplirent d'héroïques reconnaissances qui mirent fin aux rezzous. Laperrine accomplit personnellement quelques-uns de ces raids dont le souvenir est pieusement conservé dans les archives sahariennes. Cette période de dix années est marquée par la soumission des Touaregs du Hoggar dont l'Aménokal Moussa-Ag-Amastane, devenu l'ami de Laperrine, aussi bien que celui du Père de Foucauld. Dans les Ajjer, la progression française s'est poursuivie et le capitaine Nieger atteint Djanet avec une colonne légère le 18 Juillet 1909. Quand il prend, en 1910, le commandement du 18e Chasseurs de Lunéville, Laperrine peut être fier de son œuvre. Grâce à lui, le Sahara central est pacifié et organisé administrativement. Quand éclate la guerre de 1914, promu général, il commande successivement une brigade de Dragons, une brigade de Cuirassiers, puis la 46e brigade d'Infanterie sur le front métropolitain. C'est ce commandement qu'il doit quitter en 1917 pour rejoindre Ouargla. La situation au Sahara s'est en effet gravement détériorée depuis le début du conflit. Les Senoussistes de Libye, farouches adversaires de l'Occident chrétien, ont attaqué les postes français du Sud-Tunisien. Harcelant nos convois de ravitaillement, razziant les tribus ralliées, ils nous ont contraints à évacuer Fort-Polignac et Djanet. Encouragées par leur succès, leurs bandes parcourent impunément le Sahara du Sud-Est et font le siège d'Agadès. L'attitude des Touaregs, impressionnés par nos échecs et soumis à une intense propagande, est devenue inquiétante. Le 1er décembre 1916, le Père de Foucauld est abattu devant son bordj. Le moral de tous nos partisans est déplorable. Le général Lyautey(2) qui exerce alors les fonctions de Ministre de la Guerre, décide de placer dans les mains d'un seul chef la responsabilité de l'ensemble du Sahara. Ayant apprécié les éminentes qualités de Laperrine, il le nomme en janvier 1917 Commandant supérieur temporaire des Territoires Sahariens. Dès lors, tout change. Réorganisés et reprenant confiance, les Sahariens quittent leurs bordjs où ils attendaient les attaques des bandes rebelles, pour les poursuivre et leur livrer combat. Moussa-Ag-Arnastane, rasséréné par le retour du chef qui a gagné autrefois sa sympathie, prend sans ambiguïté le parti de la France. Les hommes voilés pourchassent, avec les méharistes et les goumiers, les Senoussis tes qui osent franchir la frontière. La radio assure maintenant les liaisons, une section automobile est créée à Ouargla, une escadrille d'aviation éclaire et appuie les troupes à terre. Ces moyens modernes de combat permettent de rétablir l'ordre et facilitent les déplacements. C'est à méhari que Laperrine effectue ses tournées : plus de 4000 km, de novembre 1917 à avril 1918 d'In Salah à Tombouctou, 4500 km d'Ouargla à Agadès au cours de l'hiver 1918. Partout où il passe, il constate que la sécurité est rétablie. Partout, il reçoit un accueil chaleureux des populations. Tous les postes ont été réoccupés, même Djanet. Il est donc possible de supprimer le Commandement temporaire des Territoires Sahariens. Avec sa troisième étoile, acquise dès le 18 avril 1918, le Général Laperrine prend la tête de la Division d'Alger. C'est de là que le 18 février 1920, il s'envole dans un des avions du raid qui a comme objectif la première traversée du Sahara jusqu'au Soudan. Les deux avions décollent ensemble de Tamanrasset. Ils se perdent bientôt de vue. Le premier, piloté par le Commandant Vuillemin, atteindra son but sans difficultés. Il semblait que la sécurité du second serait encore mieux assurée puisqu'à son bord se trouvait Laperrine, le meilleur guide que l'on pouvait choisir. Et cependant c'est à celui-ci que le Sahara réservait ses maléfices. De violentes rafales le déportent et lui font perdre sa direction. Le vent de sable se lève, la visibilité devient mauvaise. L'essence va manquer, il faut se poser en plein désert. L'atterrissage est difficile et dans le choc qui en résulte, le Général est blessé. Il agonisa pendant de longues journées d'attente, ne se plaignant ni de la soif, ni de la douleur, près de ses compagnons, plus résistants, parce qu'indemnes et plus jeunes et qui furent sauvés par une providentielle patrouille de méharistes le 14 mars. Laperrine terminait ainsi son existence, en plein cœur de ce Sahara auquel il s'était totalement donné. Mort stoïque, digne d'une vie héroïque d'un grand soldat. Il fut enterré à Tamanrasset aux côtés du Père de Foucauld, mais en 1963, sa dépouille fut transférée à Carcassonne dans le caveau de famille. Les honneurs militaires lui furent rendus.
O.G.
1. Voir la biographie du Père de Foucauld dans Les Cahiers d'Afrique du Nord N° 13. 2. Voir la biographie de Lyautey dans Les Cahiers d'Afrique du Nord N° 11.
BIBLIOGRAPHIE
Jean Ferry (général) : Le Général Laperrine, ami du Père de Foucauld in le Saharien N° 55, 3ème et 4ème trimestre 1970. Le Père de Foucauld : Lettres inédites au général Laperrine, pacificateur du Sahara. La Colombe, Paris, édition 1954. Bulletin de liaison saharienne N°44, décembre 1961. Heppe : Le Général Laperrine, organisateur de la pacification du Sahara, in Revue historique de l'armée, 1971. Le Saharien N° 54, 1er et 2ème trimestre 1970, consacré au général Laperrine. Léon Lehuraux : Laperrine le Saharien. Édition de l'Encyclopédie de l'Empire français. |