Germain Choussat

Escoussens (Tarn)

1867 M'sila 1943

Henri Choussat

Montpellier 1906

Bordeaux 1994

Germain et Henri Choussat ont incarné durant plus de soixante ans le prototype de ces médecins de colonisation, bien souvent méconnus, voire ignorés, qui, par leur dévouement, leur esprit d'abnégation, de sacrifice, ont contribué à l'œuvre commune d'humaine civilisation.

Les vies de Germain et Henri Choussat nous paraissent indissociables. C'est en effet grâce à son père, que Henri, tout comme lui, fit carrière dans la médecine de colonisation.

Germain Choussat était né le 3 mai 1867 à Escoussens dans le Tarn. Il fit ses études comme boursier à la Faculté de médecine de Montpellier. Sa thèse en poche, mais n'ayant pas d'argent, il s'engagea sur les transats qui reliaient la France à l'Amérique du sud. Son activité consistait à contrôler les carnets de bord médicaux, à soigner les malades, à détecter les mala-

dies contagieuses, à établir des rapports journaliers, hebdomadaires et mensuels. Il épousa à Montpellier Antoinette Monteils, issue d'une famille d'agriculteurs installée à Lodève depuis plusieurs générations. La Compagnie Transatlantique le nomma alors sur la ligne Marseille-Alger, pour qu'il puisse revoir son épouse plus souvent.

Sur proposition d'une éminente personnalité politique qu'il avait soignée au cours d'une escale, il accepta un poste fixe sur le sol algérien, voyant là un moyen de s'installer définitivement avec son épouse. C'est ainsi qu'il entra dans le corps des médecins fonctionnaires de colonisation, à Lafayette. Dans cette circonscription il était responsable de plusieurs dizaines de milliers d'âmes. Son rôle consistait à donner gratuitement des soins aux personnes indigentes, à faire des tournées hebdomadaires dans chacun des centres ou groupes de population, à assurer les campagnes de vaccination anti-variolique, à distribuer des médicaments, à inspecter les écoles et les centres de prostitution, et à fournir à l'administration départementale un compte-rendu détaillé.

Sa besogne était écrasante, compte tenu de l'ampleur du territoire qu'il devait couvrir, et l'état sanitaire des populations musulmanes. Il était aidé par des auxiliaires médicaux indigènes qui l'assistaient dans ses tournées. Il remplit ensuite ces fonctions à N'Gaous (Sud du Constantinois) et en 1906 à EI-Madher à 23 kilomètres de Batna.

Le 24 mars 1906 naquit à Montpellier le jeune Henri. On attachait en effet beaucoup d'importance, à cette époque, à naître sur le sol métropolitain. Trois mois plus tard la mère et le fils rejoignaient Germain à EI-Madher. Henri fit ses premières classes à l'école primaire du lieu, chez madame Clémenti, la femme du garde-champêtre.

En 1915, Germain Choussat faillit succomber au typhus exanthématique qui décima plusieurs milliers de personnes dans la région. Trois de ses auxiliaires médicaux indigènes en moururent. Il fut affecté en 1916 à M'sila dans le sud algérien, avec la responsabilité d'un établissement sanitaire qui comportait une vingtaine de lits. Il disposait d'une salle de consultation, d'une salle d'opération et d'une officine de pharmacie. L'hôpital était occupé par des grabataires et des malades, atteints d'affections diverses: paludisme, blépharites, syphilis, tuberculose pulmonaire ... La médecine de l'époque était peu armée et la mortalité était importante. Elle se heurtait aussi aux pratiques de médication indigène, à base de sorcellerie et de remèdes magiques, figée dans un fatalisme ancestral. La salle d'opération était précaire: on faisait bouillir linges et compresses dans une marmite, et dans une autre les instruments chirurgicaux. Tour à tour hygiéniste, thérapeute, accoucheur, gynécologue, ophtalmologiste, arracheur de dents, épidémiologiste et chirurgien, Germain Choussat exerçait les métiers les plus divers. Outre le service des consultations gratuites et celui de l'hôpital, il était astreint à des tournées périodiques dans les douars. Son auxiliaire médical jouait le rôle d'interprète et l'accompagnait tout au long de ses visites.

Certaines campagnes de vaccination prenaient souvent l'allure de véritables expéditions qui nécessitaient de longs déplacements à dos de mulet, en dehors des pistes carrossables sur plusieurs dizaines de kilomètres. Les jours de marché, il réunissait les Arabes sur la place des villages à jour et heure fixes, et les vaccinait contre la variole. Son auxiliaire distribuait des cachets de quinine. Des familles entières accouraient, averties par les roulements de tambour du garde-champêtre.

Toutes les semaines, il faisait une visite d'hygiène publique à la maison de tolérance Atlan qui logeait une vingtaine de prostituées. Il les examinait et arrêtait leurs activités en cas de maladies vénériennes.

C'est dans cette atmosphère médicale que le jeune Henri poursuivit sa formation scolaire. Tous les après-midi, il sellait son bourricot pour se rendre chez monsieur Thoumieux, ancien abbé défroqué qui exerçait les fonctions de gendarme et qui lui donnait des leçons de grec, de latin, de mathématique et de physique. Ce fut un excellent pédagogue qui éveilla son intérêt pour la logique. Il fut reçu au certificat avec la mention très bien.

Après le baccalauréat, Henri se dirigea vers des études de médecine, à l'Université d'Alger. Celles-ci duraient six années. On commençait par une année théorique, le P.C.N. (physique, chimie, sciences naturelles), puis on entamait véritablement la médecine avec des cours d'anatomie, de physiologie, de pathologie, de parasitologie, et des cours d'histoire naturelle médicale. En deuxième année, on se rendait à l'hôpital de Mustapha pour suivre des cours pratiques. En troisième année, on commençait une spécialisation médicale. Henri prépara alors l'externat et fut reçu. À la fin de la cinquième année, il présenta le concours d'internat auquel il fut reçu à la deuxième tentative.

Comme à Alger, tous les postes d'internes étaient occupés, il fut admis à Constantine dans les services du docteur Oulié, ancien chef de clinique des hôpitaux de Paris. Celui-ci était responsable du service de chirurgie à l'hôpital de Constantine et d'une clinique privée. En quelques semaines de pratique, il en apprit plus qu'en six mois d'externat et acquit plus d'assurance et de confiance en lui.

Après une aventure amoureuse, Henri passa huit mois dans le midi de la France. Puis il rentra en 1930 dans les services du professeur Gillot en clinique médicale et hygiène infantile à l'hôpital d'Alger, où l'on traitait plus particulièrement la diphtérie, la tuberculose pulmonaire et la syphilis. Il fit la connaissance de Juliette Clausse également docteur en médecine et spécialisée en obstétrique. Il l'épousa à Alger en 1931. Il fut nommé chef de service à l'hôpital de Ménerville au sud est d'Alger, fin 1934, en remplacement du docteur Roger Meunier, appelé à d'autres fonctions. Le couple s'installa donc en cette ville. L'hôpital accueillait principalement des grabataires que l'on soignait avec les moyens du bord. Il fallut améliorer les interventions et créer un service moderne de chirurgie et de radiologie, ainsi qu'un laboratoire d'analyse médicale. Peu après leur arrivée, Juliette créa le service de la maternité qui s'occupait du suivi des femmes enceintes et des accouchements.

Henri Choussat pratiquait les interventions de chirurgie courante: trachomes, amputations, appendicites. Il luttait contre les maladies infectieuses: la syphilis, la tuberculose, la fièvre typhoïde, le kyste hydatique, la dysenterie amibienne, le tétanos. L'arrivée des sulfamides en 1935, puis de la pénicilline en 1942, permirent de nettes améliorations dans les traitements de nombreuses affections. En cinq années d'exercice, la qualité des services de l'hôpital s'améliora. Un service de chirurgie avec deux salles d'opérations fut mis en place, ainsi qu'un service de maternité et de radiologie et un laboratoire d'analyse médicale. Il n'était pas rare que les services de l'hôpital aient à soigner des dromadaires atteints de plaies et de morsures, avec des antiseptiques. Deux à trois fois par semaine, il allait faire des consultations dans des villages alentours. Pendant la période des vaccinations, il s'installait sur la place des marchés et vaccinait contre la variole, la diphtérie, la typhoïde et la tuberculose. Il allai t deux fois par an dans les écoles pour dépister, à la cuti-réaction, la tuberculose. Juliette faisait des tournées hebdomadaires dans les familles pour vacciner les nourrissons, et prodiguer des soins en donnant des conseils aux mères. Pendant la saison fiévreuse, une campagne préventive anti-paludique était mise en place. Elle consistait à distribuer, aux habitants des douars, des comprimés de quinine.

Le débarquement du 8 novembre 1942 fut le prélude d'une transformation de la thérapeutique. Les médecins anglo-saxons et américains apportèrent un sang nouveau, avec leur nouvelle méthode d'anesthésie et de réanimation et le traitement rénové des plaies et blessures. Toutes ces nouveautés en matière médicale contribuèrent à élaborer un esprit d'équipe exceptionnel qui imprégna tout le corps médical algérien.

En 1945, Henri Choussat entreprit une carrière universitaire et devint assistant en thérapeutique médicale du professeur Lebon. En 1949, il passa les trois concours successifs du médicat pour devenir chef de service au C.H.U. d'Alger. Ces nouvelles activités le contraignaient à se rendre quotidiennement de Ménerville à Alger, soit une centaine de kilomètres aller-retour.

Une remontée spectaculaire de tuberculose ayant eu lieu en 1948, Henri Choussat entreprit, de monter un service d'hospitalisation spécialisé. Le 5 décembre 1949, il passait le concours de médecin phtisiologue à Paris. En. 1950, il fut nommé membre correspondant de la Société médicale des hôpitaux de Paris, en raison de ses nombreuses communications publiées dans la presse médicale. Afin de parachever son itinéraire, il passa en 1952 le concours d'agrégation de médecine de Paris. Il fut reçu major, devançant les candidats parisiens à qui étaient traditionnellement réservés cet honneur et ce titre. Sur sa demande, l'hôpital de Ménerville fut rattaché par convention au centre hospitalo-universitaire d'Alger, avec la contrepartie de recevoir des internes de l'hôpital de Mustapha. Ceci lui permit d'investir sa charge d'agrégé de médecine générale, tout en gardant ses fonctions hospitalières dans le bled algérien.

L'hôpital de Ménerville était parfaitement organisé lorsque survinrent les premiers attentats le 1er novembre 1954. Ce fut le départ d'une suite de crimes, de rixes, de dénonciations et d'actions terroristes, qui prit la forme d'une guerre subversive. L'hôpital de Ménerville continuait à fonctionner, mais la situation s'envenima rapidement et prit la tournure d'un scénario qui détruisit toute espérance.

Pour échapper à la tension qui régnait sur le territoire, le docteur Choussat ouvrit durant les deux mois d'été un cabinet de consultation à Vittel dans les Vosges. Il devint ainsi médecin thermal.

C'est en 1956 que Henri Choussat reçut à l'hôpital de Ménerville la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur des mains de son « père spirituel », le professeur Lebon.

Les accords d'Evian ayant mis fin à la présence française en Algérie, c'est, les larmes aux yeux, les valises à la main, que le docteur Choussat et sa famille (il avait cinq enfants) dut quitter l'Algérie, laissant derrière lui cinquante-cinq années de bons et loyaux services à l'histoire médicale algérienne

Il fut affecté à Bordeaux et nommé professeur à titre personnel à la faculté de médecine et de pharmacie, puis nommé titulaire successivement des chaires de sémiologie et de pathologie médicale. Juliette fut rattachée au service de radiologie de l'hôpital Saint-André où lui-même exerçait une activité de consultation.

Le 8 mars 1966, il prit la direction de la Maison du Haut-Lévêque à Pessac. Elle constituait l'hôpital gériatrique du C.H.R. de Bordeaux. Cette nouvelle activité le changeait des pathologies nord-africaines! En 1976, il fonda à Bordeaux l'université du troisième âge qui devint par la suite l'université du temps libre.

Profondément affecté par le décès accidentel de Juliette, il survécut très mal à ce drame. Soutenu par ses enfants, sa famille et les anciens d'Algérie, il se raccrocha à un grand nombre d'activités, associées à de nombreux voyages.

Le professeur Henri Choussat est décédé le 18 décembre 1994.

Il eut la satisfaction de connaître le succès de ses enfants, tous parvenus aux grands titres et aux plus belles situations, et d'avoir une descendance médicale puisque son fils Alain, trois de ses beaux­enfants et un de ses petits-fils exercent actuellement cette profession. Son ami de toujours, le chirurgien Félix Lagrot devait déclarer:« La mémoire d'un tel homme honore le souvenir de notre pays et reste l'exemple et la consolation des siens, de ses élèves, de ses amis, de ses compatriotes, »

 

O.G.
d'après l'étude de Patrice Clarac.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Henri Choussat ... itinéraire d'un médecin humaniste au XX" siècle par Parrice Clarac, ethnologue et biographe à l'association «Vox Populi» de Bordeaux, animateur des ateliers d'autobiographies à l'Université du temps libre de Bordeaux CU.B. Livre disponible à l'Office Aquitain d'études d'information et de liaison sur les personnes âgées (OAREIL) 3, rue Lafayette 33000 Bordeaux.

 

 

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