Juan Bastos |
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Malaga, 1817 Oran, 1889 |
Affiche 1929, collection particulière
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Juan Bastos est un des pionniers, venus d'Espagne où ils vivaient pauvrement. Il a su par son intelligence et sa volonté, réaliser en Algérie une entreprise qui prit plus tard des dimensions mondiales. |
Juan Bastos est le premier, et probablement unique enfant, de Manuel José Bastos, originaire de Badajoz (Espagne), et de Trinidad Millian. Il naît en 1817 à Malaga. De son enfance, nous ne connaissons rien. Ses parents débarquent en Algérie au lendemain de la conquête française. Ils font partie des premiers Espagnols qui tentent l'aventure en Algérie. Rappelons qu'en 1834, la ville d'Oran compte moins d'un demi-millier d'Espagnols. Emigrants de la "misère espagnole" et aventuriers de tout poil constituent le premier flot de la migration espagnole vers l'Algérie. Très rapidement, Juan crée une échoppe de tabac, comme il en existait en Espagne, destinée à pourvoir les soldats en tabac à priser. La première manufacture de tabac (cigares et cigarettes J. Bastos) est fondée en 1838 et constitue un des premlers établissements "industriels" de la nouvelle colonie. Si le nom est pompeux, il ne s'agit en réalité que d'un atelier de taille modeste, transposé d'un côté de la Méditer-ranée à l'autre. Ce cas de déplacement d'activité entre les deux rives n'est pas isolé et on le retrouvera notamment pour les ateliers de fabrication de chaussures, d'alfa, de distilleries d'alcool ou de glacières. La présence des soldats, accrue dans la région d'Oran avec la reprise des hostilités contre Abd-el-Kader en 1839 (jusqu'en 1843, l'Oranie fut un champ de bataille) et l'arrivée des premiers immigrants liés à la terre, donne urie impulsion nouvelle à la maison Bastos. Trois ateliers-boutiques, toujours de taille modeste, sont créés à Oran et un quatrième est installé à Alger à la fin des années 1840. Seule ombre au tableau: l'approvisionnement en feuilles de tabac. Pionnier, Juan Bastos sera l'un des tout premiers Européens à planter du tabac dans la province d'Oran en 1847. Les premiers plants le seront à la ferme Karguentah, où, plus tard on édifiera la Maison du Colon à Oran. L'Etat leur achètera cette année-là 134 kilogrammes de feuilles au prix moyen de 126,53 F. Mais on s'aperçoit assez rapidement que la culture du tabac ne pourra subvenir aux besoins de la consommation. L'augmentation de la population européenne d'Oran, qui est passée de 25 000 personnes en 1847 à plus de 45 000 en 1851, impose une diversification de l'approvisionnement. Les feuilles qui arrivent alors du Maroc, d'Espagne, d'Amérique du Sud sont, pour partie, liées à la contrebande du tabac dont l'Algérie ravira à Gibraltar et aux Baléares la première place, d'après les sources d'archives. Entre temps, Juan Bastos semble tiraillé entre son désir de s'installer en Algérie et l'espoir d'une réimplantation en Espagne. A la fin des années 1840 et au début des années 1850, il crée cinq à six magasins-ateliers de tabac en Espagne selon le modèle d'Oran. Puis il semble bien que la "branche espagnole" ait suivi son propre chemin et ait gagné son "indépendance" assez rapidement. Plus jamais pour Juan Bastos, il ne sera question d'Espagne. On. peut d'ailleurs déceler chez lui des comportements d'intégration à la nouvelle société coloniale française qui se crée. Cette implantation africaine débute par son mariage avec Francisca Rayos, célébré à Oran le 22 juillet 1839 , et se précise par l'attribution de prénoms dans une graphie française aux quatre enfants qui naîtront de leur union : Emmanuel, Jean, Louis, et Françoise. La volonté de s'implanter sur cette terre aux multiples ressemblances avec l'Espagne certes, mais où tout, ou presque, est du domaine du possible, se fait de plus en plus nette. Désormais, les liens qui unissent les Bastos à l'Espagne s'estompent. Faits significatifs, les quatre enfants de Juan, qui parlent la langue de Cervantès manient avec une dextérité plus grande encore la langue de Molière. Les trois aînés font leurs études chez les Franciscains et Françoise est chez les Trinitaires. Enfin, Juan Bastos dépose une demande de naturalisation française. Le cas mérite d'être signalé car la grande majorité des Espagnols attendront les effets de la loi de 1889, dite de naturalisation automatique, pour devenir français. La génération suivante ne sera même plus rattachée à l'Espagne par la langue On aurait toutefois tort de penser qu'un "empire" Bastos est créé. Les petits ateliers permettent à la famille de Juan Bastos de vivre, sans plus. L'entreprise familiale reste modeste et n'est pas en mesure, par exemple, d'employer le fils aîné quand celui-ci est en âge de travailler. Emmanuel sera d'abord comptable chez un grand négociant d'Oran. Cependant, petit à petit, l'entreprise prend de l'ampleur: un premier stade est franchi, lorsque les ateliers sont dotés d'un petit matériel plus performant. Cela permet à Emmanuel et Jean d'intégrer l'entreprise au début des années 1870. Si Juan Bastos dirige toujours la Maison, c'est à Emmanuel et à Jean que l'on doit cet extraordinaire développement de la modeste entreprise familiale. quand Juan meurt à Oran le 11 septembre 1889, seuls fonctionnent la petite usine, rue de la Vieille Mosquée, et quelques ateliers. L'année suivante, sa veuve, Francisca , et ses quatre enfants transforment la Manufacture de Tabac Juan Bastos en société en nom collectif. Dès lors, le stade industriel s'affirme. On décide la création des entrepôts près du port d'Oran, en contrebas de la route de Mers-el-Kébir. Les usines d'Oran et d'Alger verront le jour en 1910. L'entreprise Bastos se transforme en société anonyme avant la guerre de 1914. Elle emploie un personnel quasi exclusivement féminin et espagnol, ou d'origine espagnole, et devient l'une des principales sources d'emploi local (près de deux mille employés avant la première guerre mondiale) et l'une des premières entreprises industrielles d'Algérie. Au début des années 1900, le capital de la Société s'élève à 11 500 000 francs et la marque Bastos (fournisseur des régies française, espagnole, tunisienne et marocaine) est distribuée dans l'Europe entière. En plus des implantations algériennes, des bureaux sont ouverts à Bruxelles, Genève, Tanger, Bogota. Pendant la première guerre mondiale, la maison Bastos s'implante en Grèce. Elle reprend la manufacture de tabacs Abd-el-Kader ben Turki d'Alger. La gamme de produits proposés s'enrichit d'année en année, offrant une quinzaine de genres de cigarettes, autant de cigares, et une dizaine de tabacs parmi les plus réputés. La qualité de fabrication obtenue grâce à la mécanisation (Emmanuel Bastos sera l'un des premiers à acheter la machine universelle pouvant fournir 250.000 cigarettes par journée de dix heures), permet à la maison Bastos d'engranger récompenses et distinctions, remises lors des plus grandes expositions universelles, coloniales ou nationales. Les affaires sont brillantes. La famille est désormais à l'abri du besoin et la société coloniale la reconnaît en décorant Emmanuel Bastos, alors président de l'entreprise, de la Légion d'Honneur. A la mort d'Emmanuel en 1920 les membres de la famille vendent leurs actions, aussitôt achetées par la banque Hoskier. Petit à petit, une seconde banque, le Crédit Foncier, se portera acquéreur de la quasi-totalité des parts détenues par la famille Bastos. Progressivement, la direction de l'entreprise échappe à la famille, même si l'attachement à la vie de la maison se poursuit par la présence, jusqu'à l'indépendance de l'Algérie, d'un descendant Bastos dans le pool directorial Après la seconde guerre mondiale, la maison Bastos s'installe à Saïgon, à Dakar, au Cameroun, et, en collaboration avec Job, une usine est construite près d'Ajaccio. Si le nom reste, on en oublie l'origine espagnole et, si de la personnalité de Juan Bastos nous n'avons pas d'information, on peut cependant juger de son tempérament de pionnier, par l'acharnement qu'il a mis à jeter les bases d'une des plus prospères industries de l'époque coloniale.
Jean-Jacques Jordi
(Marseille)
Sources:
Interviews d'anciens administrateurs de la société Bastos, de descendants de Juan Bastos, en particulier du petit-fils d'Emmanuel Bastos qui porte les mêmes prénom et nom que son grand-père. Archives nationales d'outre-mer, Aix-en-Provence.
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