Rémi Saint-André |
|
Mostaganem,1899 Paris, 1992 |
Fonctionnaire dans le meilleur sens du terme, il fut l'exemple même d'un grand serviteur de l'Etat. ll mit toute son énergie et ses grandes qualités au service de toutes les communautés. Grand sportif, totalement ouvert aux autres, il fut une personnalité particulièrement marquante de l'Algérie française, et, plus tard, de la population rapatriée. |
Rémi Saint-André naît à Mostaganem (Oranie) le 11 juillet 1899, d'une famille originaire du Gers et du Lot-et-Garonne. La première mention du nom de Saint-André dans le journal de Mostaganem l'Ain-Sefra date du 27 juillet 1887, et la venue de sa famille par alliance, Navarro, est encore antérieure. C'est dire que, si le père de Rémi, Arthur Saint-André, n'a pas participé à la conquête, il se trouve à son arrivée, comme chef de musique au 2ème Régiment de Tirailleurs algériens, en plein cœur de la création d'un monde nouveau. Arthur Saint-André quitte l'armée en 1892, mais reste à Mostaganem, sous-préfecture depuis 1848, port de pêche et ville en plein essor économique. C'est surtout une métropole très vivante sur les plans intellectuel, artistique et sportif, sports hippiques notamment où s'illustre l'oncle Navarro. Dans une ville où plus du tiers de la population européenne est espagnole, ce dernier, vice-consul d'Espagne durant trente ans, est une figure de premier plan. Dans cette action culturelle, Arthur SaintAndré sera une autre figure importante. Il crée en 1893 l'Ecole municipale de musique ainsi que la société philharmonique, association privée dont il sera président jusqu'à sa mort en 1925. Compositeur apprécié, il reçoit nombre de prix et distinctions français et étrangers et a des rapports épistolaires avec Camille SaintSaëns, qu'il rencontre lors des séjours de celui-ci en Algérie. Dans ce climat, foisonnant, de travail intellectuel, d'art, de préoccupations sociales, de contacts, une certaine liberté est laissée à Rémi et à son frère aîné par un père qui, veuf encore jeune, se souciera peut-être plus de ses activités que de ses enfants. Rémi mûrira d'un coup, appelé en avril 1918. Déçu de ne pouvoir combattre dans l'aviation, l'école des pilotes de guerre ne fonctionnant plus, il sert successivement en Allemagne, en Pologne et dans l'Armée du Levant. C'est finalement là qu'il partira comme cavalier, dans les Chasseurs d'Afrique et les Spahis, qui vont relever les Anglais du temps du colonel Lawrence. Au-delà de la connaissance des Lieux Saints, dans cette Palestine où n'existent encore ni Israël, ni la Jordanie, il verra en Syrie-Cilicie des scènes inoubliables de massacres et aussi du génocide arménien. Après quatre ans de service militaire, il revient à Mostaganem où, tout en aidant son père comme flûtiste , il prépare dès 1922, sans le lui dire, travaillant seul et pendant la nuit, le concours d'administrateur de commune mixte, qu'il passera immédiatement avec succès. Selon Bugeaud, l'administrateur de commune mixte en Algérie est celui qui "seul, doit tout faire par lui-même. S'il fait peu, il manque à sa mission, s'il fait mal, les populations seront plus malheureuses et mécontentes. Pour les défendre, les indigènes n'ont presque personne qui puisse élever la voix en leur faveur, qui puisse les protéger, si ce n'est l'administrateur, qui est ainsi leur tuteur, ou, pour employer l'expression arabe dans son sens le plus étendu et le plus touchant, leur père". Cette mission ne peut que plaire à Rémi SaintAndré. En pays arabe, sur les hauts-plateaux, à Aumale et Sidî-Aïssa, il découvre les hommes de grande tente, qui, souvent fixés à présent, gardent les manières de la grande hospitalité de naguère. "Sous-préfet à cheval", l'administrateur effectue au moins une tournée de six jours par mois dans les douars. Il y veille au maintien de l'ordre, rend la justice, œuvre à l'évolution économique. Rémi s'attache à créer un climat de confiance et à apaiser les conflits. Il est excellent cavalier et tireur. De grands chefs le recherchent pour participer activement avec eux à leurs fantasias et leurs chasses au faucon. C'est une toute autre culture, celle des Berbères, qu'il découvre en Kabylie, à FortNational et Michelet, avec des tribus très diverses et de culture très avancée où sa sagesse de vingt-sept ans doit régler des affaires d'indivision, de vengeance, d'honneur, dans le respect de la loi française, mais aussi d'un droit local très élaboré. Son mariage le conduit à quitter cette vie dure, mais qui comblait son besoin d'action et de contacts. Il entre en 1926 au Gouvernement Général à Alger, où il est accueilli par le directeur de l'Agriculture, du Commerce et de la Colonisation, Charles Brunel. Celui-ci, ayant relevé dans le dossier de Rémi l'annotation "n'a pas l'esprit fonctionnaire", lui demande de conserver précieusement son esprit d'initiative et de réflexion personnelle. Rémi sera un fonctionnaire exemplaire dans toute sa carrière au service de l'Etat, précisément parce qu'il n'a pas l'esprit fonctionnaire au sens habituel. Il se trouve d'ailleurs au cœur même d'une œuvre d'innovation et de création. Jeune rédacteur au service du travail, il met en œuvre les nouveaux textes sur la prévoyance sociale, les accidents du travail, les H.B.M., les sociétés coopératives ; il participe aux grandes transformations sociales et urbaines que connaît Alger dans les années 30. En 1936, rattaché d'office à la Direction des Finances, il se voit confier une tâche dont ce service ne veut pas se charger : créer en Algérie une Loterie, concurrente de la Loterie Nationale, le premier tirage devant avoir lieu dans trois mois! Il faudra toutes ses capacités d'invention, connaissances financières, astuces techniques, toute sa force de persuasion devant l'hostilité des financiers eux-mêmes, pour mener à bien cette entreprise. La Loterie Algérienne connaît un grand succès et rapporte au budget de l'Algérie des sommes considérables pour les œuvres sociales. Il en fait une réalisation profitable au pays à plus d'un titre, les élus locaux rivalisant pour que le tirage se fasse sur leur territoire. Il a l'idée de jumeler les tirages, non seulement avec les fêtes (pâques, Noël), mais aussi avec de grandes manifestations historiques, traditionnelles ou sportives, notamment boulistes et aéronautiques, matches de boxe, ce qui, tout en assurant la publicité pour la Loterie, donne un essor particulier au sport en Algérie. En 1938, au moment où la Loterie est en plein succès, écœuré par les attaques des jaloux, il quitte ce service. Il sait pourtant que c'est son successeur qui passera chef ,de bureau et non lui qui, affecté au service de la propriété indigène, y appliquera son expérience "du bled". En septembre 1939, il est mobilisé. Puis, à la Direction de l'Intérieur et de la Jeunesse, il devient chef du bureau chargé de la Jeunesse et des Sports, malgré une contestation des autorités de Vichy à certains ordres auxquels il a résisté avec courage. Après le débarquement américain de 1942, il continue son action d'aide aux fédérations sportives : de boulisme, d'athlétisme, de boxe. Devenu Directeur des Sports et Chef du Service de la Jeunesse, il aide le scoutisme, qu'il soit ou non confessionnel. L'année 1947 voit la renaissance de l'aviation privée en Algérie. Des stades, des piscines, des boulodromes se construisent et Rémi réussit à faire fabriquer à Alger de l'appareillage sportif, introuvable même en métropole. De 1948 à 1961, il exerce des fonctions plus classiques à la Direction de l'Intérieur, affaires militaires, naturalisations, contentieux, aide sociale. En 1962, année de l'indépendance de l'Algérie, il demeure en coopération technique et, de nouveau, il est appelé à une charge atypique et fort délicate à l'Imprimerie Officielle. Le directeur étant subitement décédé, il doit former des ouvriers algériens pour assurer la relève. Il s'attache à "l'algérianisation" des cadres, reclassant tous ceux qui peuvent l'être, à un niveau supérieur, faisant travailler le personnel qui y consent, en nombreuses heures supplémentaires, utiles à leur retraite, lui apprenant à suppléer aux fournitures manquantes et à mieux utiliser les moyens du bord. Le Journal Officiel et les autres publications sortent toujours en temps voulu. En même temps, il améliore les conditions matérielles de travail du personnel. En 1964, il entre en France pour prendre sa retraite. Cela, c'est l'homme "public" au service de l'Algérie-l'Etat. De l'homme "privé" peuvent être retenus deux éléments: Le sportif ; tous les sports l'intéressent, athlétisme au collège, tir et équitation, puis moto, à l'armée et en commune mixte, football, tennis, natation. Adulte, il gagne maintes coupes en aviron dont il sera champion d'Afrique du Nord. Mais sa grande passion, c'est l'aviation. Dès 1930, il est l'un des premiers adhérents de la section de vol à voile de l'Aéro-club d'Algérie où, dans les années 30, il rencontre Mermoz, Saint-Exupéry, Maryse Bastié, Maryse Hilsz. Il devient vice-président, puis président de cet aéro-club, puis vice-président de la Fédération aéronautique algérienne créée en 1929 par Julien Serviès, pionnier mostaganémois de l'aviation légère. Ses clubs, notamment l'Aéro-club d'Algérie, remportent des records nationaux et internationaux. De grands rallyes sont organisés et de grands services sont rendus dans le cadre d'une action sanitaire, en liaison avec le corps médical : vols de coqueluche, évacuations sanitaires, en temps de paix comme en temps de guerre. Le directeur de la santé publique avait pu dire en 1949 : "seule avec les Etats-Unis, l'Algérie possède une couverture sanitaire aérienne totale". De cette réussite, Rémi Saint-André est un acteur au premier chef, par sa disponibilité continuelle, les subventions qu'il fait obtenir aux clubs, sa volonté d'un climat d'entente qu'il poursuit, notamment par la publication du Bulletin de liaison de l'Aéro-club d'Algérie (72 numéros en 11 ans), puis du Bulletin de la Fédération Aéronautique algérienne (63 numéros jusqu'à l'indépendance. ) En 1963, il procède selon les règles statutaires légales, à la dissolution de l'Association et la dévolution de ses biens à l'Aéroclub national d'Algérie dont on lui propose la présidence qu'il n'acceptera pas. L'aviation est, pour lui, "la joie d'être dans l'air", notamment en vol sans moteur, une école de camaraderie, mais aussi de volonté, de goût du travail bien fait, de discipline. C'est, en outre, un moyen de promotion sociale par l'attribution de primes, de réduction de prix, et il fait souvent réaliser, à de jeunes camarades, des heures de vol avec lui, gratuitement, qui compteront pour leur brevet. A noter que la Fédération a mené jusqu'au brevet plus de 120 pilotes musulmans. C'était aussi un rassembleur. Donnant à chacun l'occasion de réaliser le meilleur de lui-même, il est recherché et ses partenaires désirent rester à son contact. Il noue ainsi des amitiés dans tous les domaines où il exerce son activité. Ces relations lui serviront à dénouer bien des affaires compliquées, dans ses fonctions, et aussi lorsqu'il fut emprisonné en 1964 à Barberousse (Alger), à la suite d'une cabale. Un jugement dira qu'il n'y a rien dans son dossier. En cette circonstance, il trouvera du réconfort chez bien des amis musulmans de tous milieux. Après l'indépendance de l'Algérie, il est vraiment en France un rassembleur : nombre de personnes se retrouvent grâce à lui. Il œuvre dans les plus grandes associations de rapatriés et , à titre personnel, il aide à la solution de bien des cas difficiles. Durant plusieurs années, il se bat pour que ses ouvriers de l'Imprimerie officielle aient droit à une retraite (car ce n'était pas le cas) et il y parvient en intervenant auprès du Président Pompidou. Accomplissant de grands voyages dans le monde, il tient à faire profiter de cette expérience, en des images assorties de commentaires très appréciés, la mairie du XIIIème arrondissement, des associations, des personnes seules, des maisons de retraite. Il fera ainsi bénévolement en dix-huit ans, 620 séances pour plus de 105 000 spectateurs. De Rémi Saint-André, on pourrait dire qu'aucune de ses actions ne lui paraissait avoir de la valeur, et donc le rendre heureux, si elle ne s'inscrivait pas dans la ligne des grands principes qu'il avait appliqués, en tant que fonctionnaire d'Etat en Algérie. Et, pour lui, être Français et d'Algérie, c'était complémentaire. Claudie Saint-André
Parmi ses œuvres :
* Sur les Ailes du Temps, mes souvenirs aéronautiques d'Algérie, 1930-1963. Rémi Saint-André. 630 pages, à compte d'auteur, Paris 1986
Bibliographie :
* Rémi Saint-André de Mostaganem à Paris, l'itinéraire, de 1899 à 1992, d'un Français d'Algérie. Claudie Saint-André. 800 pages, à compte d'auteur, Paris 1994.
|