Alfred

Nakache

 
 

Constantine, 1915
Cerbère, 1983

 

Champion de natation, cet homme d'un courage peu commun, a su faire face à de grandes épreuves : sa déportation et la disparition, dans les camps nazis, de sa femme et de sa fille.

Il devait, par la suite, connaître une brillante carrière olympique.

Alfred Nakache a vu le jour le 18 novembre 1915 à Constantine, au sein d'une famille de dix enfants dont le père était petit fonctionnaire. Celui-ci leur apprit très tôt à nager dans la piscine thermale de Constantine. Il n'était pas rare de voir évoluer le père et les frères Nakache dans l'équipe de water-polo de la jeunesse nautique constantinoise. Tous ne nageaient pas comme des poissons, mais "Artem" (c'était le surnom d'Alfred qui signifie poisson en hébreu) fit montre de qualités particulières dès l'âge de huit ans. A dix-sept ans, il fit ses débuts en grande compétition sous les couleurs de ce club.

Les championnats de France de 1933 marquent un tournant capital dans la carrière d'Alfred. Il découvre à Paris les "Tourelles", ce lieu mythique de la natation française. Finaliste, il parcourt les 100 m en un peu plus de une minute quatre secondes. L'année suivante, il retrouve les Tourelles et s'oppose au grand jean Taris. Comme ce dernier, il parcourt la distance en moins de une minute trois secondes. Taris est déclaré vainqueur. Peut-être est-ce en: raison de son "aura", mais une grande amitié va lier les deux hommes. Boursier et interne à Janson­de-Sailly, il porte alors les couleurs du Racing de Paris où les dirigeants, Rigal et Foulon, lui réservent le meilleur accueil. En 1935, il devient le chef de file du 100 m dont la place a été laissée vacante par Taris, passé sur le 400m.

Nos deux compères, épaulés par Cavaléro et Talli, forment une véritable équipe d'amis. Aux jeux de Berlin, en 1936, ils arrachent la quatrième place aux Allemands, derrière les japonais, les Américains et les Hongrois. Alfred est l'un des premiers à pratiquer la "brasse papillon". Celle-ci consiste à sortir les bras hors de l'eau. Elle demande un gros effort et surtout un entraînement supplémentaire. Alfred, puissant athlète, saisit tout de suite l'avantage de cette nouvelle technique qui permet d'avancer plus vite.

1937 s'annonce une année importante pour le nageur constantinois, devenu parisien. Sur le plan physique, ses performances le placent dans l'équipe d'Europe du trois fois trois nages qui doit rencontrer les Etats-Unis, avec pour coéquipiers deux Allemands.

Mais on a vite fait de lui faire comprendre que le "juif Nakache" devrait laisser sa place à un troisième Allemand. Que faire, sinon céder sa place à la pression nazie?

Aux championnats universitaires de 1939, il remporte quatre médailles d'Or: aux 200 m brasse, aux quatre fois 200 m, aux cinq fois 100 m nage libre et au water-polo. Il termine également second du 100 m nage libre.

En 1940, fuyant la zone occupée, il rejoint Toulouse et s'inscrit aux Dauphins du TOEC (Toulouse Olympique Etudiants Club). Le TOEC est une grande famille à telle enseigne qu'un dirigeant, M. Mauran achète un gymnase et le met à la disposition de Louné et d'Alfred Nakache qui avait obtenu son diplôme de professeur d'éducation physique. Notre champion, avec sa femme et sa fille sont à l'abri du besoin.

L'année 1941 procure à Alfred une revanche sur les Allemands. Le 6 juillet, il remporte le record du monde du 200 mètres brasse, détenu par l'Américain Kasley. Mais au passage, il pulvérise le record d'Europe détrônant ainsi l'Allemand Balke. Aux championnats de France à Lyon, l'année suivante, il fait main basse sur huit des onze titres attribués.

Mais "l'affaire Nakache" qui couvait sous la cendre va éclater au grand jour. A cette époque les juifs sont dans le collimateur d'une grande partie de la presse et de l'opinion publique. On reproche à la FFN. (Fédération Nationale de Natation) de laisser Nakache s'adjuger de façon inadmissible des couronnes que des nageurs allemands convoitent.

En 1943, la FFN. organise des championnats de natation à Toulouse. L'autorité allemande fait pression sur l'administration française pour que Nakache n'y participe pas. Les membres du bureau du TOEC décident alors que le club est déclaré forfait. Des nageurs en renom déclarent aussi forfait.

Quelques semaines plus tard Alfred est arrêté sur dénonciation, ainsi que son épouse Paule (également d'origine constantinoise) et sa fille Annie âgée de deux ans et quatre mois. Une soixantaine d'autres israélites sont également arrêtés avec eux. Le groupe est dirigé sur Drancy, puis vers Buna-Monowitz avec, dans ses rangs, le boxeur Young Perez(l). Le 20 janvier 1944, le voyage infernal se poursuit vers Auschwitz d'où sa femme et sa fille ne devaient point revenir. Beaucoup de chance, une résistance hors du commun acquise grâce au sport, un force morale digne d'un grand champion, ont permis à Alfred Nakache de surmonter la terrible épreuve des camps de la mort. Avec Noah Klieger, bon nageur, déporté lui aussi dans le même camp, il réussit un coup incroyable : aligner quelques longueurs, chaque dimanche, dans les réservoirs d'eau d'Auschwitz, à l'insu des nazis! Tout autour, d'autres prisonniers faisaient le guet. ..

A la sortie de ces dix-huit mois de calvaire, l'athlète aux 85 kg n'en pesait plus que 42 ! En 1945, il retrouve Toulouse et ses amis du TOEC, et la famille d'Alex jany, cet autre grand champion qui le recueille. Possédé par une formidable envie de vivre, "Artem" reprend l'entraînement, s'astreignant à un régime alimentaire progressif pour préserver son organisme. Sa rage de vaincre, sa volonté de lutter, sa continuité dans l'effort, ajoutées à des dons athlétiques bien supérieurs à la moyenne, vont lui permettre en un peu plus d'un trimestre de retrouver une forme exceptionnelle. Dès le mois d'août, il remporte trois titres de champion de France: 200 m brasse, 4 fois 200 m, 3 fois 100 m, 3 nages. Il est aussi finaliste avec l'équipe de water-polo.

Ce champion d'exception battra, à deux reprises le record du monde du 3 fois 100 m, 3 nages en compagnie de ses inséparables coéquipiers Alex jany et Georges Vallerey. Cette même équipe, à laquelle vient s'incorporer Bozon, démolira à plusieurs reprises le record du monde du relais 4 fois 100 m, 4 nages. En 1946, il deviendra pour la dernière fois, champion de France du 200 mètres brasse.

En 1947 et 1948, il sera médaillé d'argent sur la même distance. Il représente la France aux jeux Olympiques de Londres où son équipe bat un nouveau record du monde du 3 fois 100 m , 3 nages. Excellent poloïste, il joue dans le sept français, de 1946 à 1949, notamment aux J.O. de 1948. A trois reprises, il dispute avec les Dauphins du TOEC la finale des championnats de France.

Sa carrière sportive de haute compétition terminée, il exerce à nouveau et avec bonheur la profession de professeur d'éducation physique.

Remarié en 1950, il s'envole avec son épouse, Marie, pour la Réunion en qualité de conseiller technique. Il crée un club de natation et exerce à l'Université et dans la piscine de 50 m, entre 1972 et 1976. Son souhait était que la France donnât une plus grande impulsion aux départements d'outre­mer qui avaient tant de bons nageurs.

A la retraite, il se retire au bord de cette Méditerranée qu'il aimait tant, se partageant entre Sète et Cerbère. C'est dans cette dernière ville qu'il fut victime en 1983 d'une crise cardiaque. Il venait tout juste de pénétrer dans la mer pour son bain quotidien. Il a eu le privilège, lui, "Artem", le poisson, de mourir dans son élément sur la rive opposée de sa terre natale.

 

 

Odette Goinard
Documentation Marcel Gori
(L'Echo des Français rapatriés d'outre-mer, juillet 1997, n° 81).

 

 

1 - Voir la biographie de Victor Young Pérez dans les Cahiers d'Afrique du Nord, n° 5.

Nota: La vie d'Alfred Nakache a été évoquée dans une émission télévisée (France 3) le 6 octobre 2001.

 

 

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