Fernand

Linarès

 
 

Limeuil, 1850

Limeuil, 1938

 

Médecin de valeur, doué d'un grand sens diplomatique, Fernand Linarès a joué un rôle éminent au Maroc sur le plan politique.

Bien avant l'instauration du Protectorat de la France au Maroc, nous savons qu'il y avait déjà, tout au long du XIXe siècle, des médecins français installés dans quelques villes du pays.

Certains étaient envoyés par le Ministère des Affaires Etrangères auprès des consulats de France pour faire de l'assistance aux populations indigènes.

En 1876, le Sultan Moulay Hassan et le général Osmont qui commandait la division d'Oran se rencontrent à Oudjda pour tenter de mettre fin aux incursions des djiouchi(1)  marocains en territoire français d'Algérie. Lors de cette entrevue, une parade militaire des troupes françaises est faite qui impressionne le Sultan. Celui-ci demande que la France lui envoie une mission militaire pour instruire les troupes chérifiennes.

Cette mission arrive au Maroc, à Oudjda, fin 1877 et comprend, outre des officiers­instructeurs, un médecin le docteur Fernand Linarès.

Ce praticien est un Périgourdin, né en 1850 à Limeuil. Son père, médecin, l'envoie faire ses études à Toulouse puis à Paris. A 23 ans il entre dans l'armée où il est noté : Taille 1,70 m. Apte à faire campagne. Education, principes, conduite : bons. Instruction supérieure, ,a l’habitude du chevaL Et cette curieuse mention: aura de la fortune!

Ayant fait son service comme ... infirmier dans les hôpitaux d'Oran, il n'a qu'une envie, revenir en Afrique du Nord et à sa demande il est affecté comme médecin dans les hôpitaux d'Oran puis auprès du Bureau Arabe de Géryville. C'est là qu'il apprend l'arabe et qu'il devient, selon ses dires: arabophile.

1877 le trouve donc volontaire pour le Maroc lors de la création de la M.M.F.M. (Mission militaire française au Maroc). Oudjda est alors une ville épouvantable du point de vue de l'urbanisme et de l'hygiène et il n'est pas étonnant que Linarès ait rapidement à faire face à une épidémie de choléra (bou ghlib). Il soigne la population, les soldats des garnisons chérifiennes et en laisse une description détaillée.

En 1879 la M.M.F.M. est transférée à Rabat où Linarès se fait très vite une solide réputation et sa consultation est très suivie. En 1882 éclate une épidémie de variole (J’dnt). Notre médecin se dépense sans compter, tente d'imposer la vaccination avec le concours de l'importante famille Bargach. Cette même année deux femmes du harem du sultan tombent malades et Linarès est mandé, ce qui lui vaut d'être introduit au Palais dont il devient très vite un familier, jouissant de la confiance du Sultan.

Linares avait installé à ses frais, un observatoire météorologique dont il colligea pendant deux ans toutes les données.

En 1888 il est placé hors cadre et détaché auprès des Affaires Etrangères. Il devient en fait un agent officieux (on dirait aujourd'hui : un honorable correspondant !) au moment où le Ministère de la Guerre envisage de retirer la M.M.F.M. ce qui lui permet de rester sur place et de soigner personnellement le Sultan (d'une typhoïde ?) d'où un regain de confiance.

Dès lors, en sus de ses attributions médicales, il joue un rôle diplomatique important. Le Quai lui demande par exemple de déjouer auprès du Maghzen, les manœuvres senoussia et turques (encouragées par la Grande Bretagne).(2)

Le ministre de France à Tanger, lui rend un vibrant hommage et lui obtient la Légion d'honneur.

L'Espagne impose à son tour une mission auprès du Sultan et y adjoint un médecin, le docteur Ovilo y Canales avec l'espoir de "déboulonner" Linarès, mais sans succès. A cette époque (1892) la situation est très délicate car la question des oasis sahariennes empoisonne les relations franco-marocaines. Ces événements font pâlir l'étoile de Linares à la Cour chérifienne et ceci d'autant plus que le Ministre de France à Tanger, Patenôtre, estime sa présence et celle de la M.M.F.M. auprès du Sultan non justifiée et qu'il faudrait céder aux désirs de Moulay Hassan de remplacer la mission Militaire par une mission d'ingénieurs qui seraient chargés de la fabrication d'armes, de munitions et. .. de hauts-fourneaux. Pourtant, Linarès reste, revient même bien en cour et accompagne, vêtu à la marocaine, le sultan dans son voyage de Fez à Marrakech en passant par le Tafilalet (29 juin au 18 décembre 1893). Il nous a laissé une très intéressante relation de ce voyage "historique". Linarès part alors en congé en France où il apprend la mort du Sultan sur la route de Marrakech à Rabat (7 juin 1894). Il est alors renvoyé d'urgence au Maroc porteur d'une lettre du Président de la République au nouveau Sultan Moulay Abd-el-Aziz. Il est ainsi le premier diplomate accrédité auprès du nouveau Maghzen.

En 1897 le Dr Linarès accompagne une ambassade marocaine en France.

En 1900 le vieux vizir Ba Ahmed, qui tenait en tutelle d'une main ferme le jeune sultan, meurt. Ce prince laisse alors libre cours à ses extravagances et avide de nouveautés modernes s'endette en achetant à l'étranger, canot à moteur électrique, appareils photos, cinéma, locomotives,(3) motocyclette etc. ..

Linarès n'a plus alors d'influence et écrit désabusé : "l'autorité chérifienne est en déclin ... Moulay Abd-el-Aziz passe son temps à se divertir et les quelques personnes qui l'entourent laissent la barque chérifienne dériver à vau-l'eau." Fatigué il demande un congé, mais l'année suivante Delcassé (Ministre des Affaires Etrangères) lui demande de reprendre son action au Maroc.

En 1902, Saint-René Taillandier, alors Ministre de France à la Légation de Tanger voit d'un mauvais œil le retour de Linarès. Le chef de la M.M.F.M. lui garde rancune d'avoir accompagné seul Moulay Hassan dans son voyage au Tafilalet, le ministère de la guerre ne "digère" pas que "son" médecin militaire lui échappe et corresponde directement avec le Quai d'Orsay, tant et si bien que Linarès faisant valoir ses droits à retraite se retire dans son village natal.

Eclate la Guerre de 14-18 et Linarès, malgré ses 64 ans reprend du service aux hôpitaux de Brives et de Bergerac. Il s'éteint au Château de Limeuil le 13 mars 1938.

L'action du docteur Linarès s'est donc déroulée suivant deux axes : un médical (il fut un excellent praticien) qui lui permit d'entrer en contact avec les plus hautes autorités marocaines - surtout du temps de Moulay Hassan(4) - l'autre diplomatique, car ayant leur confiance il put souvent les conseiller en tenant compte non seulement des intérêts de la France mais aussi du Maroc. H. de la Martinière qui assura l'intérim de la Légation de France à Tanger écrivait en parlant de notre médecin "médecin d'une extrême modestie, très estimé du Sultan Moulay Hassan, puis du régent Ba Ahmed, il avait une exceptionnelle situation dans ce milieu marocain, due à sa haute intégrité, sa sensibilité ... Il avait été l'instrument précieux de notre politique aux heures les plus difficiles, faisant preuve des plus belles qualités d'observation et de conscience. Son jugement était extrêmement sûr, très froid et réalisateur dans les affaires musulmanes, il connaissait par le détail le déroulement de notre politique et les dessous du Maghzen avec la valeur de chacun des différents personnages qui le composait. Son expérience était inappréciable.

Docteur Maxime Rousselle.

 

1 - Bandes de pillards qui pratiquent la razzia.

2 - Qui favorise le pan-arabisme à partir de ses possessions au Moyen-Orient.

3 - transportée par caravanes de chameaux, de Tanger à Marrakech, en pièces détachées, il s'en perdit la moitié en route et l'engin ne fonctionna jamais.

4 - Beaucoup plus faible après la mort de Ba Ahmed et la mainmise des milieux affairistes sur le jeune Moulay-Abd-el-Aziz.

 

 

Bibliographie:

 

* Médecins, chirurgiens et apothicaires français au Maroc, 1577-1907. M. Rousselle. 350 p. Librairie Georges. 33400 Talence.

* Thèse Bélanger Le Docteur Fernand Linarès Bordeaux 1929-1940, nO 55.

 

Œuvre du Docteur Linarès :

Voyage au Tafilalet avec S.M. le Sultan Moulqy Hassan, en 1893, in bull. de l'Institut d'Hygiène du Maroc. N° 2, § IV, 1932.

 

 

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