Jules

du Pré

de Saint-Maur

 
 

Saint Jouan de Guérets, 1813

 Oran, 1877

 

Jules du Pré de Saint­Maur est un de ces colons "aux gants jaunes" qui n'ont pas hésité à consacrer, non seulement leur fortune mais aussi leur vie, à un idéal malheureusement mal compris et détourné de son sens.

Jules du Pré de Saint-Maur naît en Bretagne, à Saint Jouan de Guérets, le 23 septembre 1813, près de Saint-Malo, au château de Launay-Quinart, propriété de son aïeul maternel, le comte de Vigny. Son enfance s'écoule, partie au vieux manoir breton où il est né, partie au château d'Argent, en Berry, propriété de son père et berceau de la famille.

Son éducation première est virile et ses études classiques à Juilly font apparaître très tôt une intelligence d'élite. Nerveux, robuste, il est bien armé pour les luttes de la vie. Après avoir parcouru l'Allemagne, la Suède, la Russie, et, seul avec un guide, poussé jusqu'au cap Nord, le jeune du Pré de Saint-Maur se rend à Jérusalem par Rome et Constantinople, et visite l'Egypte. En 1844, attiré à Oran par son ami le commandant d'Illiers, aide de camp du général de Lamoricière, il vient une première fois explorer cette terre à peine conquise et suit "en amateur" à travers la province d'Oran, les troupes lancées à la poursuite d'Abd-el-Kader. Dès lors, sa décision est irrévocable : il colonisera, non comme Bugeaud, à l'aide d'anciens soldats, mais en attirant des amis, de braves campagnards, qui arroseront de leur sueur, quand ce ne sera pas de leur sang, cette terre rude aux planteurs.

En 1845, du Pré de Saint-Maur fait un nouveau voyage à Oran où la terre d'Arballe séduit ; il s'empresse d'y solliciter une concession de 1200 hectares environ. Alors commence toute une série de tracasseries contre celui qui a l'audace de vouloir consacrer un gros patrimoine à l'exploitation de terres en friche, contre le colon qui veut rester indépendant et tracer la route à suivre à ses compatriotes. Avant de prendre possession d'Arbal, il épouse Clémence de Laussat, d'une ancienne famille béarnaise, qui sera toute sa vie la compagne efficace et entièrement dévouée à la cause qu'il embrasse.

C'est du libre et plein consentement des deux époux que fut adressée en ces termes au roi Louis-Philippe la demande de concession d'Arbal :

'Je ne viens pas chercher une fortune ;je viens risquer une fraction de la mienne. Pour le grand propriétaire de France, il y a en Algérie un rôle qui

n'est pas sans honneur, il est digne de savoir exposer des capitaux pour rendre productive une terre arrosée du sang de tant de Français. "

En 1847, on commence la construction de la ferme ; les propriétaires n'avaient encore qu'une tente pour demeure ; en attendant que leur maison fut habitable, ils résidèrent donc dans un faubourg d'Oran où ils avaient acheté une maison à Kergental.

Pour la direction d'Arbal, Jules du Pré de Saint-Maur prend un collaborateur dont le nom est bien connu dans le monde des agriculteurs, Charles de Thiéry.

"La France traite fAlgérie en véritable marâtre" écrit ce dernier dans une revue agricole, "Loin d'être favorisé, le colon ne peut écouler ses produits considérés comme étrangers".

Cette triste situation faite au producteur, loin de décourager Jules du Pré de Saint-Maur, excite au contraire son ardeur. Il présente au ministère un travail sérieux tendant à obtenir une révision des tarifs douaniers, en même temps qu'il accepte de faire en Algérie d'importants essais de culture industrielle, lourde tâche qui incombait au gouvernement. En 1849, le choléra fait de grands ravages dans la province. Jules du Pré de Saint-Maur est à son poste, à Arbal, au chevet de ses ouvriers atteints par le terrible fléau. Madame de Saint-Maur se dévoue auprès des malades jusqu'au jour où elle contracte le mal dont elle se remettra non sans.peine. En 1850, du Pré sollicite au ministère une augmentation de concession pour mettre en valeur des terres improductives. Favorablement accueillie à Paris, cette demande, bien fondée pourtant, rencontre au bureau arabe d'Oran d'implacables adversaires. Il faut préciser que les bureaux arabes, définitivement constitués depuis 1844, s'opposaient au parti colonisateur, où milite sans trêve Jules du Pré de Saint­Maur. Ses discours à la chambre consultative d'agriculture comme au conseil général d'Oran, qu'il a l'honneur de présider jusqu'en 1868, ainsi qu'au Conseil supérieur du gouvernement de l'Algérie, dont il est le vice-président, développent la thèse selon laquelle "la terre est refusée aux colons. La terre manque aux bras français, non les bras à la terre !"

La question des concessions, petites oasis au milieu d'une solitude immense, se complique bientôt de la question des eaux. Au début de 1863, Jules du Pré de Saint­Maur fait creuser à ses frais, à Arbal, un vaste barrage réservoir pour utiliser les eaux de pluie, comme aussi celles des torrents voisins. Dès lors, s'appuyant sur sa propre expérience, il demande que l'Etat s'associe aux travaux de ce genre en faveur des centres de colonisation. Le général Deligny repousse de toutes ses forces un projet de barrage pour. la plaine de l'Habra. Jules du Pré réduit à néant les objections du général. Vains efforts ! Le parti pris l'emporte. Heureusement l'énergie de Jules du Pré de Saint-Maur est invincible. Battu devant le conseil général, il crée une société pour l'acquisition de la mise en culture des plaines de l'Habra et de la Macta. L'Echo d'Oran relaie son vibrant appel. L'autorité militaire se prétend injurieusement visée. Jules du Pré de Saint-Maur est traduit en police correctionnelle ainsi que son courageux imprimeur Adolphe Perrier. Jules plaide lui-même sa cause, qui est, dit-il, celle de tous les colons, ses frères. Justice lui est rendue et la colonie fait une véritable ovation à son vaillant champion.

On donnera son nom à l'agglomération d'Arbal qui deviendra le village de Saint­Maur. On associa à cet acte le nom de son épouse. Ce n'était pas seulement sur le champ de bataille que le chef songeait à ses troupes. A Paris, où des devoirs de famille le ramenaient souvent, Jules du Pré de Saint-Maur, quoique peu solliciteur de sa nature, ne cessait, en faveur de sa chère Algérie, de dire à tous "quiconque fera quoi que ce soit pour l'Algérie, je dirai toujours merci !".

Même au milieu de ses luttes ardentes, Jules du Pré de Saint-Maur n'oublie pas son rôle d'initiateur agricole. Le tabac, la garance, le lin, la cochenille, le coton, sont successivement introduits à Arbal au prix de grands sacrifices ; ses bergeries comptent bientôt de nombreux Mérinos ; les porcheries abritent de beaux animaux de race anglaise, on élève des chevaux percherons pour les besoins de l'agriculture, les poules de la Flèche remplacent leurs congénères indigènes.

Une banque agricole est fondée dans la province pour délivrer les colons des prêts usuraires. Les entraves de la législation financière en ajournent les précieux résultats, mais la voie est ouverte.

Parmi les travaux en faveur de l'Algérie, mentionnons la part active prise par Jules du Pré de Saint-Maur à la formation des compagnies de chemins de fer.

Enfin, aux heures douloureuses de la guerre de 1870, au siège de Paris, et bien qu'il ait dépassé l'âge requis, nous le retrouvons sous l'uniforme militaire dans les rangs du 6ge bataillon de la garde nationale, aux côtés de son fils.

Après une vie si admirablement remplie, Jules du Pré de Saint Maur s'éteint à Oran le 14 octobre 1877. Ses funérailles sont imposantes. En 1930, un juste hommage est rendu à ce grand pionnier de l'Algérie aux côtés de ses illustres compagnons, Borély la Sapie, de Tonnac, de Vialar, sans oublier Bugeaud et Lamoricière, dans le groupe central du monument commémoratif de la colonisation française en Algérie à Boufarik. Après sa mort, son épouse continue à diriger l'exploitation de ses biens, mais ses forces la trahissent. Elle décède en 1885 en laissant six enfants.

Jules du Pré de Saint Maur fut un colon dans toute l'acception du terme, appartenant à cette pléiade de laborieux "gentilshommes" qui ont conquis en Algérie leurs plus beaux quartiers de noblesse par un courage à toute épreuve, une énergie, une virilité, digne souvent d'un meilleur sort.

Emile et Simone Martin-Lanas

 

 

Bibliographie

 

* Narcisse Faucon, 1889 - Le Livre d'Or de l'Algérie de 1830 à 1889.

* Villot d'Arzew, Alger - La vie de M. de Saint­Maur

* Notes manuscrites sur Clémence de Laussat communiquée par M. l'Abbé Aloys de Laforcade et compléments sur la famille de Laussat relevés par les auteurs de cet article aux archives départementales des Pyrénées Atlantiques.

 

 

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