Charles

Lavigerie

 
 

Bayonne. 1825

Alger. 1892

 

Parmi les grands noms de Français ayant œuvré en Afrique du Nord, le cardinal Lavigerie a une place prééminente. Son action humanitaire, sociale et religieuse a marqué la deuxième moitié du Xlxe siècle. Du champion de l'anti esclavagisme au restaurateur de l'Eglise chrétienne des premiers siècles en Afrique du Nord. il fut tout à la fois le défenseur des peuples noirs contre la tyrannie de leurs chefs et l'instigateur d'une approche vers un monde musulman toujours mal perçu. Il laisse en héritage la Société des Missionnaires d'Afrique où Pères Blancs et Sœurs Blanches continuent à rapprocher deux civilisations séparées par des siècles de méfiance de part et d'autre.

Charles Martial Allemand Lavigerie naquit à Bayonne le 31 octobre 1825. Fils d'un Receveur des Douanes, il manifesta dès l'âge de treize ans son désir de devenir prêtre. Après avoir été au Petit Séminaire de Lassore, il entre en 1845 au Grand Séminaire de Saint Sulpice à Paris où il publie un lexique français-grec. Ordonné prêtre en 1849, il prépare à l'Ecole des Carmes un doctorat es lettres. Il est alors nommé professeur d'histoire ecclésiastique à la Sorbonne, il y restera pendant six ans. Cette activité purement intellectuelle le déprime, il aspire à œuvrer socialement. Son confesseur, le Père de Ravignon, lui parle en 1856 de l'œuvre des Ecoles d'Orient qui a vu le jour après la guerre de Crimée et les massacres de chrétiens en Syrie. Il en devient rapidement le directeur. Quêtant personnellement dans toute la France, il récolte 2.136.000 francs or qu'il porte lui même au Levant le 30 septembre 1860 prenant pour la première fois contact avec le monde musulman. De ce voyage au Liban et en Syrie, il retient deux aspects du peuple arabe : son aspect sanguinaire, mais aussi son aspect hospitalier. Pie IX approuve son action et facilite sa mission en le nommant consulteur à la Propagande pour les rites orientaux. Cette nomination ne le satisfait point, car son rôle à l'auditorat de la Rote est trop administratif. Finalement Rome et Paris s'entendent pour le nommer évêque de Nancy. Ses armes épiscopales parlent d'elles-mêmes : Un pélican qui nourrit ses petits, symbole de la charité.

Très actif dans son nouveau diocèse, il relève en particulier le niveau d'études du personnel enseignant catholique. Puis brusquement, le 13 novembre 1866, il reçoit du maréchal Mac-Mahon, gouverneur général de l'Algérie, la proposition d'être archevêque d'Alger en remplacement de Mgr Pavy, décédé. Il accepte avec enthousiasme, car il veut devenir mission­naire. Napoléon III qui connaît le caractère de Lavigerie n'approuve point le choix du maréchal et propose le poste vacant de Lyon, siège honorifique où le chapeau de cardinal est assuré. Mais il s'oppose au refus énergique de l'évêque de Nancy qui ira à Alger envers et contre tous, ce serait un affront de lui refuser ce poste, déclare-t-il à l'empereur.

Il est enthousiasmé par ce champ immense s'ouvrant devant lui et veut être le continuateur de l'Eglise africaine de saint Cyprien et de saint Augustin. Décelant chez les Kabyles une différence nette avec le peuple arabe, il y crée en septembre 1867 cinq dispensaires qu'il confie à des religieuses en leur demandant de s'abstenir de tout prosélytisme. Il rend obligatoire l'étude de la langue arabe dans le Grand Séminaire d'Alger et s'élève contre l'idée napoléonienne du "Royaume arabe". Le 1er septembre 1868 à la suite d'une épidémie de choléra et d'une famine ayant fait 100 000 victimes dans le seul diocèse d'Alger en six mois, il part quêter pour les familles éprouvées, en France, en Europe et même jusqu'en Amérique du Nord. Il crée des orphelinats restant dans la droite ligne de l'Œuvre d'Orient. Mac Mahon est inquiet, il le trouve envahissant. Napoléon III lui écrit:

"Commencez par moraliser les 200.000 colons catholiques avant de vous pencher vers le peuple algérien". Lavigerie réagit, il se rend à Biarritz auprès de l'Empereur et obtient l'autorisation de garder ses orphelins.

Puis il court à Rome et demande à Pie IX l'autorisation de créer un séminaire de prêtres missionnaires et le 1 a septembre 1868, cet établissement ouvre ses portes. Ce sont en fait des moines agriculteurs, l'un d'eux, Félix Charme tant restera toujours un collaborateur intime de l'archevêque. En septembre 1869, ce sont huit jeunes filles originaires de Bretagne qui seront les premières sœurs cultivatrices dans la maison Saint Charles près d'Alger.

Le concile du Vatican, en 1870, le verra très peu. La guerre franco-allemande qui va entraîner des insurrections en Algérie et les événements de la Commune désespèrent Lavigerie qui veut démissionner de nouveau. Dans son désarroi, il se présente comme candidat à la députation dans les Landes lors des élections pour l'Assemblée Nationale, il échoue, mais écrit au comte de Chambord, le prétendant au trône de France, une lettre ouverte pour le supplier de revenir dans son pays.

Finalement le prélat poursuit son œuvre : 115 orphelins sur les 122 qui avaient demandé le baptême reviennent à l'établissement de Maison-Carrée, d'autre part, de jeunes Français arrivent au séminaire missionnaire. Ce seront les premiers "Pères Blancs". De même, de futures Sœurs Blanches se présentent au monastère Saint Charles à Kouba près d'Alger. Lavigerie souhaite voir l'Algérie se peupler. Il demande des colons pour la Kabylie qu'il affectionne particulièrement. Il construit aussi un grand sanctuaire sur la colline Saint Eugène à Alger, ce sera la basilique Notre-Dame d'Afrique qu'il inaugure le 2 juillet 1872. Il fonde avec ses orphelins les premiers villages d'arabes chrétiens, le plus connu étant Saint Cyprien de Tijkyl, et les fait naturaliser français.

Affaibli par des crises rhumatismales, il veut accélérer son œuvre et établit les Constitutions de la Société des Missionnaires d'Afrique nommant, à sa tête, lors d'un chapitre, le père Deguerry en août 1874. Il installe les premières Soeurs Blanches dans un hôpital, Bit Alah, qu'il construit aux Attafs pour soigner toute la population aux alentours. C'est alors qu'il envoie des Pères Blancs dans le Sahara. Les trois premiers à être martyrisés le seront au Soudan. Mais toutes ces créations coûtent beaucoup d'argent et le gouvernement français réduit les crédits alloués au diocèse d'Alger. Il avertit ses Pères Blancs qu'il va être obligé de tout abandonner, mais Pie IX, peu de temps avant sa mort lui ordonne de poursuivre. C'est alors qu'un nouveau champ d'action va s'ouvrir devant lui : la Tunisie. Avec l'autorisation du vicaire apostolique de la Régence, le capucin italien Mgr Sutter. il installe deux Pères Blancs sur la colline de Carthage, achète des terres dès 1876, y vient lui même en 1877, avec de grands projets malgré une certaine animosité du clergé italien local. Dans le même esprit, il envoie les Pères Blancs prendre possession du sanctuaire de Sainte Anne à Jérusalem, paroisse française depuis 1857, mais occupée . par des capucins italiens. Le nouveau pape Léon XIII le soutient sur ces deux objectifs et pousse Lavigerie à envoyer ses missionnaires dans le centre de l'Afrique. Au cours d'un séjour de quatre mois en Tunisie, il apprend que le Pape l'a promu cardinal au consistoire du 19 mars 1881.

La Convention du 12 mai 1881, consacrant la présence française en Tunisie, décide le Saint Siège à le nommer le 26 juin administrateur du vicariat apostolique de Tunis en remplacement de Mgr Sutter qui partira en bons termes avec son successeur. Lavigerie veut ressusciter la Carthage chrétienne antique et veut bâtir une cathédrale, créer des paroisses, un hôpital et un collège. Dans ce but, il organise, en août 1881, une quête nationale en France et se fait interlocuteur privilégié auprès de Gambetta pour tout ce qui concerne la Régence. Il charge un Père Blanc, le Père Delattre(1) de mener activement des fouilles archéologiques sur le territoire de Carthage. Il se rend populaire auprès des Tunisiens en intervenant en leur faveur auprès de l'administration militaire d'occupation.

Dans le même temps, les Grands Lacs, le Tanganika, l'Ouganda sont parcourus par ses missionnaires qui évangélisent non sans difficulté, car le roi Mwanga qui dirige cette dernière région massacre en 1886 prêtres et néophytes chrétiens. En octobre 1883, il crée en Tunisie, près de Carthage, un vignoble au lieu dit la Marsa. C'est là qu'il fait édifier sur une colline proche, un palais épiscopal. Léon XIII érige, en octobre 1884, Carthage en église métropolitaine. C'est ainsi que le cardinal réunira sous sa houlette paternelle, Français, Italiens et Maltais chrétiens, aplanissant tous les obstacles.

Dans toute l'Afrique, il recueille des enfants noirs esclaves qu'il rachète aux marchands, créant des établissements dont le principal sera à Malte. S'impliquant ainsi de plus en plus dans la lutte anti esclavagiste, il soutient le pape qui dénonce officiellement en 1888 dans une lettre à 1'épiscopat brésilien, cette traite humaine. A Paris, Londres, Bruxelles, Rome, Lavigerie entreprend une véritable croisade, fonde une société anti esclavagiste. A Biskra, aux portes du Sahara, où il séjourne, fuyant le milieu laïc d'Alger, il a le plaisir d'apprendre qu'une conférence officielle après l'échec de celle de Lugano s'est réunie à Bruxelles et a décidé de supprimer l'esclavage dans le monde africain. Poursuivant son œuvre en Tunisie, il inaugure en 1890 la cathédrale primatiale de Carthage et réunit, à cette occasion, un concile où il exalte cette Afrique chrétienne ressuscitée. En mai 1890, il pose la première pierre de la pro-cathédrale de Tunis en même temps qu'il apprend que le bey a, par décret, supprimé l'esclavage dans son pays. Le roi Mwanga promet, lui aussi, la fin de la traite.

En cette même année 1890, il allait accomplir son dernier acte politique en portant lors d'une réception à l'amirauté d'Alger un toast à la République Française avec l'appui tacite de Léon XIII, signant par ce geste, la réconciliation de l'Eglise catholique avec le nouveau régime français. Moins heureux, il renoncera à la création de frères pionniers au sein de sa société missionnaire, des moines soldats qui devaient participer avec l'armée française à une expédition dans le Touat, ces "nouveaux templiers" ayant effrayé le gouvernement.

Le 26 novembre 1892, Lavigerie s'éteignait à Alger. Sa dépouille ramenée à Tunis sur un navire de guerre fut honorée par de grandes cérémonies présidées par Jules Cambon, résident généraL Inhumé dans la crypte de la cathédrale de Carthage, d'où il fut retiré en 1964 après les accords entre le Vatican et la Tunisie indépendante, plaçant cet "immeuble religieux" sous le contrôle du gouvernement tunisien. Son cercueil repose maintenant dans la maison généralice des Pères Blancs à Rome.

 

François ARNOULET

 

1 Voir la biographie du père Delattre dans le Cahier d'Afrique du Nord, n? 4.

 

 

 

Bibliographie sommaire:

 

* Mgr A.c. Grussenmeyer : 25 ans d'épiscopat, Alger, 1888.

* J. Tournier: Lavigerie et son action politique. Perrin, 1913.

* Vicomte de Colleville. Le cardinal Lavigerie, Paris 1905.

* Xavier de Montclos : Lavigerie Thése, Paris 1964.

* Georges Goyau : Le cardinal Lavigerie. Plon, 1925.

 

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