Roger

Le Tourneau

 
 

Paris 1907

Aix-en-Provence 1971

 

 

Grand professeur, Roger Le Tourneau fut aussi un homme de terrain, s'intéressant à la civilisation nouvelle qu'il découvrait. en profond humaniste.

Roger Le Tourneau naquit à Paris le 2 septembre 1907, dans une famille d'origine angevine, mais déjà bien implantée à Paris et où la culture, si elle n'était pas de métier, était de tradition. Il fit de brillantes études secondaires et entra à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm. Il fut reçu cinquième au concours de 1927 et second à l'agrégation de Lettres en 1930.

Un voyage d'étudiants, auquel il avait participé pendant son séjour à l'Ecole normale avait éveillé son intérêt pour l'Afrique du Nord. Etant dispensé du service militaire en raison des séquelles d'une maladie d'enfance (poliomyélite), il demanda un poste au Maroc et fut nommé professeur au collège Moulay-Idris à Fès à la rentrée scolaire de 1930.

Il ne se contenta pas d'enseigner le français et le latin aux jeunes Fassis, mais s'intéressa aussi passionnément à la ville merveilleuse où il vivait et à la civilisation arabo-musulmane à laquelle elle appartenait. Ce fut le point de départ de sa vocation et de sa carrière d'orientaliste. Il se mit avec ardeur et méthode à l'étude de l'arabe dialectal et classique.

 

Il conçut très vite le projet de sa thèse de doctorat, qui devait avoir pour titre Fès avant le Protectorat, mais plusieurs années devaient s'écouler avant qu'il ne l'achevât, car il fut nommé directeur du collège Moulay-Idris; il n'avait alors que vingt-huit ans.

La défaite de juin 1940 meurtrit douloureusement le patriotisme de Roger Le Tourneau. Il prit l'avion pour Alger, souhaitant être de ceux qui désiraient continuer la lutte en Afrique du Nord.

Il accepta, en mars 1941, la charge de Directeur de l'instruction publique en Tunisie. Les ambiguïtés d'une telle fonction en cette époque troublée attirèrent sur lui la suspicion. Il fut emprisonné en 1943, puis déporté en Allemagne, d'où on le remit à la disposition du gouvernement de Vichy. Destitué sans traitement et assigné à résidence à plus de 100 kilomètres de Paris, il s'installa chez un oncle à Mortagne. L'inaction et le dénuement lui pesant, il put, grâce à Jérôme Carcopino, directeur de l'Ecole normale, obtenir un poste et fut affecté comme professeur au lycée de Rouen en octobre 1943. Mais, n'entendant pas rester dans une France asservie, il voulut regagner l'Afrique du Nord en passant clandestinement par l'Espagne. Arrêté par la police, il fut emprisonné plusieurs mois.

Le 15 août 1944, il remettait le pied sur la terre du Maroc et offrait ses services au gouvernement provisoire. Suspecté de collaboration pour avoir été haut fonctionnaire sous le gouvernement de Vichy, il resta sans emploi et sans traitement jusqu'en octobre 1945. Après la Libération, son maître et ami, Robert Montagne, rouvrant à Paris le Centre des hautes études d'administration musulmane, le prit comme adjoint et directeur des études. C'est là qu'il devait achever sa thèse.

L'ostracisme officiel étant enfin levé, il fut nommé à la Faculté des Lettres d'Alger comme chargé d'enseignement, puis comme professeur, achevant ainsi le périple qui devait lui permettre d'avoir une connaissance directe et personnelle des trois pays du Maghreb. Tant à la faculté qu'à l'Institut d'études supérieures islamiques, il remplit avec succès le double rôle des universitaires qui s'étaient, comme lui, attachés au pays: faire connaître à ses compatriotes la civilisation de l'Afrique du Nord et former des cadres autochtones en vue de la décolonisation qui s'amorçait. Il s'acquittera, avant l'indépendance, de missions qui avaient toutes pour objectif la paix et l'établissement de nouveaux rapports entre la France et l'Algérie.

Nommé en 1957 à la Faculté des Lettres d'Aix-en-Provence, il créa un Centre d'études islamiques. Il y fut rejoint par des linguistes, des historiens, des sociologues, qui formèrent autour de lui une véritable équipe.

Roger Le Tourneau n'a jamais séparé la recherche de l'enseignement. Historien, il ne s'intéressait pas seulement à un passé lointain, mais il s'efforçait de comprendre la vie et l'évolution des sociétés maghrébines d'aujourd'hui. Aussi apporta-t-il son concours, dès ses débuts, au Centre d'études nord-africaines d'Aix-en-Provence qui devait devenir le « Centre de recherches sur l'Afrique méditerranéenne » et en prit ensuite la direction. Il collabora régulièrement à la publication de L'Annuaire de l'Afrique du Nord.

Roger Le Tourneau a aussi joué un rôle essentiel dans la vie de la Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, créée en 1966 Ce fut, en outre, un grand professeur. Il aimait et savait enseigner. De grandes personnalités maghrébines ont bien voulu, en des circonstances diverses, lui rendre hommage.

Maghrébins et Français n'ont pas été les seuls à bénéficier de son enseignement. En 1955, étant encore à Alger, il fut chargé d'une mission de conférences dans certaines universités des Etats-Unis. A partir de 1958, le Département d'orientalisme de l'université américaine de Princeton s'attacha régulièrement ses services. Il devait, depuis cette date, y retourner tous les deux ans pour une mission d'enseignement de plusieurs mois. Il y était encore de septembre à décembre 1970. Princeton lui avait offert une chaire à titre permanent, mais il déclina cette offre flatteuse, préférant rester à l'université d'Aix dont il appréciait l'érudition et la culture. C'est là qu'il devait décéder le 7 avril 1971.

O.G.

d'après André Adam

 

PARMI SES ŒUVRES

- Fès avant le Protectorat. Etude économique et sociale d'une ville de l'Occident Musulman, Publication de l'Institut des hautes études marocaines, t. XLV, Casablanca, 1948 (thèse principale de doctorat).

-  L'Islam contemporain, Paris, 1950, Ed. Internationales.

- Damas de 1075 à 1154, Beyrouth, 1952 (thèse complémentaire de doctorat).

- Les Débuts de la dynastie saadienne, Publication de l'Institut d'études supérieures islamiques d'Alger, Alger, 1954.

- Les Villes musulmanes de l'Afrique du Nord, Bibliothèque de l'Institut d'Etudes

supérieures islamiques d'Alger, XI, Alger, 1957.

- Fez in the age of the Marinides, University of Oklahoma Press (USA), 1961.

- Evolution politique de l'Afrique du Nord musulmane, 1920-1961, Paris, 1962.

-  La vie quotidienne à Fès en 1900, Paris, 1965.

- The Almohad Movement in North Africa in the Twelfth and Thirteenth Centuries, Princeton University Press, New Jersey (USA), 1969.

- Le Passé de l'Afrique du Nord dans ses rapports avec le présent, Paris, Centre militaire d'information et de spécialisation pour l'outre-mer, 1956.

 

BIBLIOGRAPHIE

Revue Hommes et Destins, tome VIII, 1986

 

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