Mririda N'Aït Attik
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1907 2000 |
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Peu comme Mririda a incarné, par ses poèmes, toute l'originalité et la fraîcheur de l'âme berbère. |
Il y a dans le Haut-Atlas marocain, à l'est de Marrakech, creusée par l'assif1 Tessaout, une vallée qui remonte jusqu'à l'Irhil M'Goun, un des plus haut sommets de la chaîne (4070 m). Dans cette magnifique vallée d'un accès difficile, les traditions du peuple berbère (chleuh) ont su se conserver intactes. C'est là que naquit, au début du XXè siècle une fille nommée Mririda. Etait-ce d'ailleurs son vrai nom? Elle avoue elle même dans un de ses poèmes : On m'a surnommée Mririda, Mririda, Mririda, l'agile rainette des pré!2 Son destin eut pu être celui de nombreuses berbères, tôt mariée, mère, astreinte aux pénibles travaux des champs, aux corvées d'eau etc ... Mais cette fille, analphabète, sans culture littéraire, avait un don, celui de percevoir la beauté immarescible de ce pays chleuh et de ressentir tout ce qui en émanait aussi bien des pierres que de l'âme ou des passions de ses habitants. On sait fort peu de choses au demeurant, de sa' biographie. René Euloge3, qui l'a découverte en 1927-28 avoue que toutes ses recherches pour en savoir plus sur sa vie sont restées vaines. Quand il en entend parler pour la première fois, cette fille avait quitté sa vallée et était devenue une chirat4 ou mieux une tamedant.5 une sorte de troubadour allant de souk en souk. Jolie, elle ne l'était point, malgré des yeux immenses au regard expressif. Ses traits rudes donnaient à son visage au teint clair précocement fané, un habitus singulièrement émouvant. Pourtant, Euloge, dans la préface aux Chants de la Tassaout ajoute: Je revois encore Mririda drapée dans son ample manteau de fine laine, l'antique et admirable andir aferkachène, à bandes amarantes, écarlates et blanches que l'on ne tisse plus aujourd'hui. Elle prenait des poses hiératiques, sans en soupçonner la grâce et la mqjesté, lorsqu'elle élevait comme une lyree ses bras splendidement modelés, encerclés de lourdes armilles d'argent. Une abondante chevelure, si noire qu'elle avait des reflets d'anthracite, encadrait son visage expressif dont la carnation d'une délicatesse indicible eût mérité à notre poétesse le doux nom d'Amaryllis ... Les Berbères, tout comme leurs cousins, les Touareg6, recherchent et écoutent les conteurs, les chanteurs, mais cela ne suffisait pas pour faire vivre "décemment", notre poétesse, aussi se métamorphosait-elle en hétaïre pour le plus grand bonheur de ses amants "qu'elle choisissait soigneusement", raconte une de ses anciennes amies. Elle s'était fixée, peut-être par hasard, ou bien était-ce l'importante garnison militaire de l'époque qui l'avait attirée ... elle s'était, donc, fixée à Azilal, bourg du versant ouest du Haut-Atlas, Revenant, après la guerre, dans la région, Euloge cherche encore à en savoir plus sur la vie et le devenir de Mririda. A Azilal, tout le souk a changé. Plus de Mririda non plus. Dans la vallée, ses questions sont mal accueillies. Les bouches se ferment, les souvenirs semblent être effacés des mémoires, Sans doute la réprobation quant aux moeurs de Mririda en est-elle la cause. La rencontre d'une ancienne "collègue" de notre poétesse lui apprend que Mririda avait été l'épouse temporaire d'un adjudant des Goums, puis d'un sergent. Puis on perd sa trace. Et le mystère est entier quant à la suite de sa vie. Sans doute, ces quelques éléments sont-ils bien maigres pour une biographie. Oui, hélas! Mais en sait-on beaucoup plus sur l'illustre Homére ? Qu'importe l'auteur puisqu'il nous reste les œuvres, pour celuici l'Odyssée, pour elle Les Chants de la Tassaout. Magnifiques chants, (qu'elle disait, paraît-il, en traînant sur la fin des vers) ... Merveilleux poèmes, si beaux dans leur traduction française et qui doivent être encore plus sonores, plus expressifs en tachelbaït7 Près de deux cents poésies, les unes courtes, les autres plus longues, mais toutes empreintes de l'amour du pays, de descriptions de la vie des chleuhs ; mais aussi poèmes d'amour, de ses joies et de ses tourments. Que ces quelques lignes vous incitent, amis lecteurs, à découvrir, à lire Les Chants de la Tassaout, et admirer l'oeuvre de Mririda N'Aït Attik. Je ne saurai trop vous le recommander. Docteur Maxime Rousselle ex-médecin de la Santé publique au Maroc Parmi ses œuvres, citons le poème suivant :
La fibule "Grand-mère! grand-mère! depuis qu'il est parti, je ne songe qu'à lui et je le vois partout ... Il m'a donné une belle fibule d'argent, Et lorsque j’ajuste mon haïk sur mes épaules, Lorsque j’agriffe le pan sur mon sein, Lorsque je l'enlève le soir pour dormir, Ce n'est pas la fibule, mais c'est lui que je vois ! - Ma petite fille, jette la fibule et tu l'oublieras Et du même coup tu oublieras tes tourments ... - Grand-mère, depuis bien des jours,)' ai jeté la fibule, Mais elle m'a profondément blessé la main. Mes yeux ne peuvent se détacher de la rouge cicatrice, Quand je lave, quand je file, quand je bois ... Et c'est encore vers lui que va ma pensée! - Ma petite fille, puisse Dieu guérir ta peine ! La cicatrice n'est pas sur ta main, mais dans ton cœur"
1 - Torrent, rivière. 2 - Les phrases en italique sont de René Euloge ou extraites des poèmes de Mririda. 3- René Euloge était un berbérisant qui a vécu au Maroc dans les années 1920 et a écrit de nombreux livres sur les Berbères. 4 - Chirat: chanteuse-danseuse qui se produit dans les assemblées de fêtes. |